Chapitre 28LE SECRET D’UNE NUIT
Louise dansait pour la troisième fois, maisc’était avec son mari, et si vous saviez comme elle semblaitheureuse !
En dansant, elle murmurait :
– Notre Paul va nous gronder auretour…
Ils faisaient un couple charmant. Le salon dela préfecture souriait à les regarder. Sir Arthur ne quittait pasdes yeux la comtesse Louise.
Mme Lancelot, des domaines,poursuivit :
– Toute la nuit, la maison desSavray-Pain-sec fut éclairée. Le mari rentra ; Joli-Cœuraussi, et aussi Fanchon Honoré. Chacun se doutait bien qu’un décèsallait avoir lieu ; pourtant, la barre de la porte fut mise.On n’envoya chercher ni médecin ni prêtre.
M. Lancelot et moi nous habitions lamaison voisine…
– Ah ! interrompit le commandant dela gendarmerie, alors la servante qui avait jeté les ordures étaitde chez vous !
Les domaines rougirent un peu enrépliquant :
– Ne me parlez pas desdomestiques !… Toute la nuit, ce fut un va-et-vient chez lesSavray. Nous entendions comme des gémissements et comme desprières. Puis, vers l’aube, il y eut un chant mâle et joyeux,auquel une voix d’enfant se mêlait.
Au lever du soleil, le voyageur sortit droitet ferme sur ses jambes robustes.
Il était seul. Il descendit la montagne en sedirigeant vers l’orient. Nous le perdîmes de vue dans la vallée.Quand nous l’aperçûmes de nouveau gravissant la montée, il tenaitpar la main une petite fille dont le corps, gracieux et diaphane,était percé par les rayons du soleil levant.
Ce jour-là même, une lettre arriva chez lenotaire de Lamballe. Une tante de la comtesse Louise était morte àLanderneau. Il y avait un gros héritage.
À l’état-major, autre lettre qui nommait lelieutenant Roland de Savray capitaine.
Troisième lettre à la préfecture deSaint-Brieuc. Le roi Louis XVIII se souvenait de sa filleuleLouise et envoyait le titre de comte à son mari.
M. Lancelot et moi nous congédiâmes notreservante, car c’est ce qui aurait pu nous tomber. Mais maintenant,il faudrait attendre cent ans…
– Et encore, dit M. Lancelot, cesera le tour de la ville d’Ofen, en Hongrie.
– Le mieux, conclut le commandantLamadou, c’est d’avoir bon cœur tous les jours.