La Fille du Juif-Errant

Chapitre 10MYSTÈRE

Et bien des choses se disaient tout bas, dansla maison, dans le pays, à Paris même, où le colonel comte deSavray était fort bien en cour.

La jeunesse du comte Roland avait étéorageuse, pour employer un mot consacré. C’était un joueur effréné.Je l’ai déjà dit, répétons-le.

Sous l’empire, au temps où il n’était quesous-lieutenant, Joli-Cœur l’avait trouvé pendu à un portemanteau,dans sa chambrette. Il s’était brûle deux fois la cervelle, mais àmoitié seulement. À Lyon, il s’était jeté dans le Rhône, un soirqu’il avait perdu sur parole et qu’il n’avait pas de quoipayer.

Après ces diverses aventures, on s’étonnaitquelque peu de le voir jouir d’une santé si florissante.

Un soir, à Lamballe, dans le département desCôtes-du-Nord, où il tenait garnison, il tomba épris d’une jeunefille très-noble et très-pauvre. C’était vers 1812. On se moquaitbeaucoup alors de Mlle Louise de Louvigné, filleulede Louis de Bourbon, comte de Mittau, que les voltigeurs deLouis XV s’obstinaient à nommer le roi Louis XVIII.

En France, il ne faut jamais se moquer depersonne, ni de rien, même des trônes désemparés ou des roisbannis.

Le sous-lieutenant Roland de Savray demanda lamain de Louise de Louvigné et l’obtint. À eux deux, selon lelangage de Lamballe, ils faisaient la maison misère etcompagnie.

Ici, selon l’ordre chronologique, devaitprendre place l’histoire à laquelle Mme lamaréchale de camp faisait allusion dans le salon de lapréfecture : l’histoire du Juif-Errant. Mme lamaréchale de camp avait parlé de cette histoire, à propos du comteRoland et de la comtesse Louise, comme on accuse certaines gensd’avoir de la corde de pendu dans leur poche.

Au lieu de dire l’histoire du Juif-Errant,nous allons avouer une chose singulière. Ce mot de Juif-Errantétait sévèrement proscrit dans la maison du colonel comte deSavray. Le vicomte Paul, qui aimait de passion les légendes et quiles savait toutes, grâce à Fanchon Honoré, sa nourrice, laquellepossédait la plus belle collection d’estampes à un sou qui fût enTouraine, le vicomte Paul ignorait la légende du Juif-Errant.

Jamais devant lui on n’avait donné à son amieLotte ce sobriquet bizarre : la fille du Juif-Errant.

Et un jour que dame Fanchon berçait le vicomtePaul, tout petit enfant, avec la complainte si connue.

Est-il rien sur la terre

Qui soit plus surprenant

Que la grande misère

Du pauvre…

Ce jour-là, disons-nous, la sonnette de Louisel’avait interrompue au moment où elle allait achever le quatrièmevers.

Et la jeune comtesse, si douce d’ordinaire,lui avait dit sévèrement :

– Madame Honoré, si vous voulez resteravec nous, ne chantez jamais cela !

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