Graziella

VI

Les jours suivants, nous reprîmes gaiementnotre nouveau métier. Nous écumâmes tour à tour tous les flots dela mer de Naples. Nous suivions le vent avec indifférence partoutoù il soufflait. Nous visitâmes ainsi l’île de Capri, d’oùl’imagination repousse encore l’ombre sinistre de Tibère ;Cumes et ses temples, ensevelis sous les lauriers touffus et sousles figuiers sauvages ; Baïa et ses plages mornes, quisemblent avoir vieilli et blanchi comme ces Romains dont ellesabritaient jadis la jeunesse et les délices ; Portici etPompeia, riants sous la lave et sous la cendre du Vésuve ;Castellamare, dont les hautes et noires forêts de lauriers et dechâtaigniers sauvages, en se répétant dans la mer teignent en vertsombre les flots toujours murmurants de la rade. Le vieux batelierconnaissait partout quelque famille de pêcheurs comme lui, où nousrecevions l’hospitalité quand la mer était grosse et nous empêchaitde rentrer à Naples.

Pendant deux mois, nous n’entrâmes pas dansune auberge. Nous vivions en plein air avec le peuple et de la viefrugale du peuple. Nous nous étions faits peuple nous-mêmes pourêtre plus près de la nature. Nous avions presque son costume. Nousparlions sa langue, et la simplicité de ses habitudes nouscommuniquait pour ainsi dire la naïveté de ses sentiments.

Cette transformation, d’ailleurs, nous coûtaitpeu à mon ami et à moi. Élevés tous deux à la campagne pendant lesorages de la Révolution, qui avait abattu ou dispersé nos familles,nous avions beaucoup vécu, dans notre enfance, de la vie dupaysan : lui, dans les montagnes du Grésivaudan, chez unenourrice qui l’avait recueilli pendant l’emprisonnement de samère ; moi, sur les collines du Mâconnais, dans la petitedemeure rustique où mon père et ma mère avaient recueilli leur nidmenacé. Du berger ou du laboureur de nos montagnes au pêcheur dugolfe de Naples, il n’y a de différence que le site, la langue etle métier. Le sillon ou la vague inspirent les mêmes pensées auxhommes qui labourent la terre ou l’eau. La nature parle la mêmelangue à ceux qui cohabitent avec elle sur la montagne ou sur lamer.

Nous l’éprouvions. Au milieu de ces hommessimples, nous ne nous trouvions pas dépaysés. Les mêmes instinctssont une parenté entre les hommes. La monotonie même de cette vienous plaisait en nous endormant. Nous voyions avec peine avancer lafin de l’été et approcher ces jours d’automne et d’hiver aprèslesquels il faudrait rentrer dans notre patrie. Nos familles,inquiètes, commençaient à nous rappeler. Nous éloignions autant quenous le pouvions cette idée de départ, et nous aimions à nousfigurer que cette vie n’aurait point de terme.

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