Graziella

XXXIII

Un soir des derniers jours du mois de mai, onfrappa violemment à la porte. Toute la famille dormait. J’allaiouvrir. C’était mon ami V… « Je viens te chercher, me dit-il.Voici une lettre de ta mère. Tu n’y résisteras pas. Les chevauxsont commandés pour minuit. Il est onze heures. Partons, ou tu nepartiras jamais. Ta mère en mourra. Tu sais combien ta famille larend responsable de toutes tes fautes. Elle s’est tant sacrifiéepour toi ; sacrifie-toi un moment pour elle. Je te jure que jereviendrai avec toi passer l’hiver et toute une autre longue annéeici. Mais il faut faire acte de présence dans ta famille etd’obéissance aux ordres de ta mère. »

Je sentis que j’étais perdu.

« Attends-moi là », lui dis-je.

Je rentrai dans ma chambre, je jetai à la hâtemes vêtements dans ma valise. J’écrivis à Graziella, je lui distout ce que la tendresse pouvait exprimer d’un cœur de dix-huit anset tout ce que la raison pouvait commander à un fils dévoué à samère. Je lui jurais, comme je me le jurais à moi-même, qu’avant quele quatrième mois fût écoulé, je serais auprès d’elle et que je nela quitterais presque plus. Je confiais l’incertitude de notredestinée future à la Providence et à l’amour. Je lui laissais mabourse pour aider ses vieux parents pendant mon absence. La lettrefermée, je m’approchai à pas muets. Je me mis à genoux sur le seuilde la porte de sa chambre. Je baisai la pierre et le bois ; jeglissai le billet dans la chambre par-dessous la porte. Je dévoraile sanglot intérieur qui m’étouffait.

Mon ami me passa la main sous le bras, mereleva et m’entraîna. À ce moment, Graziella, que ce bruit inusitéavait alarmée sans doute, ouvrit la porte. La lune éclairait laterrasse. La pauvre enfant reconnut mon ami. Elle vit ma valisequ’un domestique emportait sur ses épaules. Elle tendit les bras,jeta un cri de terreur et tomba inanimée sur la terrasse.

Nous nous élançâmes vers elle. Nous lareportâmes sans connaissance sur son lit. Toute la familleaccourut. On lui jeta de l’eau sur le visage. On l’appela de toutesles voix qui lui étaient les plus chères. Elle ne revint ausentiment qu’à ma voix. « Tu le vois, me dit mon ami, ellevit ; le coup est porté. De plus longs adieux ne seraient quedes contrecoups plus terribles. » Il décolla les deux brasglacés de la jeune fille de mon cou et m’arracha de la maison. Uneheure après, nous roulions dans le silence et dans la nuit sur laroute de Rome.

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