III
Ce départ, l’absence de cet ami, qui étaitpour moi ce qu’un frère plus âgé est à un frère presque enfant, melaissèrent dans un isolement que toutes les heuresm’approfondissaient et dans lequel je me sentais enfoncer commedans un abîme. Toutes mes pensées, tous mes sentiments, toutes mesparoles, qui s’évaporaient autrefois en les échangeant avec lui, merestaient dans l’âme, s’y corrompaient, s’y attristaient et meretombaient sur le cœur comme un poids que je ne pouvais plussoulever. Ce bruit où rien ne m’intéressait, cette foule oùpersonne ne savait mon nom, cette chambre où aucun regard ne merépondait, cette vie d’auberge où l’on coudoie sans cesse desinconnus, où l’on s’assied à une table muette à côté d’hommestoujours nouveaux et toujours indifférents ; ces livres qu’ona lus cent fois, et dont les caractères immobiles vous redisenttoujours les mêmes mots dans la même phrase et à la mêmeplace ; tout cela qui m’avait semblé si délicieux à Rome et àNaples, avant nos excursions et notre vie vagabonde et errante del’été, me semblait maintenant une mort lente. Je me noyais le cœurde mélancolie.
Je traînai quelques jours cette tristesse derue en rue, de théâtre en théâtre, de lecture en lecture, sanspouvoir la secouer ; puis enfin elle finit par me vaincre. Jetombai malade, de ce qu’on appelle le mal du pays. Ma tête étaitlourde ; mes jambes ne pouvaient me porter. J’étais pâle etdéfait. Je ne mangeais plus. Le silence m’attristait ; lebruit me faisait mal ; je passais les nuits sans sommeil etles jours couché sur mon lit, sans avoir ni l’envie ni même laforce de me lever. Le vieux parent de ma mère, le seul qui pûts’intéresser à moi, était allé passer plusieurs mois à trentelieues de Naples, dans les Abruzzes, où il voulait établir desmanufactures. Je demandai un médecin ; il vint, me regarda, metâta le pouls et me dit que je n’avais aucun mal. La vérité c’estque j’avais un mal auquel sa médecine n’avait pas de remède, un mald’âme et d’imagination. Il s’en alla. Je ne le revis plus.