Graziella

XIII

Deux ou trois fois dans la nuit, je meréveillai à demi. C’était une de ces nuits d’hiver plus rares, maisplus sinistres qu’ailleurs, dans les climats chauds et au bord dela mer. Les éclairs jaillissaient sans interruption à travers lesfentes de mes volets, comme les clignements d’un œil de feu sur lesmurs de ma chambre. Le vent hurlait comme des meutes de chiensaffamés. Les coups sourds d’une lourde mer sur la grève de laMargellina faisaient retentir toute la rive, comme si on y avaitjeté des blocs de rocher.

Ma porte tremblait et battait au souffle duvent. Deux ou trois fois il me sembla qu’elle s’ouvrait, qu’elle serefermait d’elle-même et que j’entendais des cris étouffés et dessanglots humains dans les sifflements et dans les plaintes de latempête. Je crus même une fois avoir entendu résonner des paroleset prononcer mon nom par une voix en détresse qui aurait appelé ausecours ! Je me levai sur mon séant ; je n’entendis plusrien : je crus que la tempête, la fièvre et les rêvesm’absorbaient dans leurs illusions ; je retombai dansl’assoupissement.

Le matin, la tempête avait fait place au pluspur soleil. Je fus réveillé par des gémissements véritables et pardes cris de désespoir du pauvre pêcheur et de sa femme qui selamentaient sur le seuil de la porte de Graziella. La pauvre petites’était enfuie pendant la nuit. Elle avait réveillé et embrassé lesenfants en leur faisant signe de se taire. Elle avait laissé surson lit tous ses plus beaux habits et ses boucles d’oreilles, sescolliers, le peu d’argent qu’elle possédait.

Le père tenait à la main un morceau de papiertaché de quelques gouttes d’eau qu’on avait trouvé attaché par uneépingle sur le lit. Il y avait cinq ou six lignes qu’il me priaitéperdu, de lire. Je pris le papier. Il ne contenait que ces motsécrits en tremblant dans l’accès de la fièvre, et que j’avais peineà lire : « J’ai trop promis… une voix me dit que c’estplus fort que moi… J’embrasse vos pieds, pardonnez-moi. J’aimemieux me faire religieuse. Consolez Cecco et le Monsieur…Je prierai Dieu pour lui et pour les petits. Donnez-leur tout ceque j’ai. Rendez la bague à Cecco… »

À la lecture de ces lignes, toute la famillefondit de nouveau en larmes. Les petits enfants, encore tout nus,entendant que leur sœur était partie pour toujours, mêlaient leurscris aux gémissements des deux vieillards et couraient dans toutela maison en appelant Graziella !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer