Graziella

VII

Cependant septembre commençait avec ses pluieset ses tonnerres. La mer était moins douce. Notre métier, pluspénible, devenait quelquefois dangereux. Les brises fraîchissaient,la vague écumait et nous trempait souvent de ses jaillissements.Nous avions acheté sur le môle deux de ces capotes de grosse lainebrune que les matelots et les lazzaroni de Naples jettentpendant l’hiver sur leurs épaules. Les manches larges de cescapotes pendent à côté des bras nus. Le capuchon flottant enarrière ou ramené sur le front, selon le temps, abrite la tête dumarin de la pluie ou du froid, ou laisse la brise et les rayons dusoleil se jouer dans ses cheveux mouillés.

Un jour nous partîmes de la Margellina par unemer d’huile, que ne ridait aucun souffle, pour aller pêcher desrougets et les premiers thons sur la côte de Cumes, où les courantsles jettent dans cette saison. Les brouillards roux du matinflottaient à mi-côte et annonçaient un coup de vent pour le soir.Nous espérions le prévenir et avoir le temps de doubler le capMisène avant que la mer lourde et dormante fût soulevée.

La pêche était abondante. Nous voulûmes jeterquelques filets de plus. Le vent nous surprit ; il tomba dusommet de l’Epomeo, immense montagne qui domine Ischia, avec lebruit et le poids de la montagne elle-même qui s’écroulerait dansla mer. Il aplanit d’abord tout l’espace liquide autour de nous,comme la herse de fer aplanit la glèbe et nivelle les sillons. Puisla vague, revenue de sa surprise, se gonfla murmurante et creuse,et s’éleva, en peu de minutes, à une telle hauteur, qu’elle nouscachait de temps à autre la côte et les îles.

Nous étions également loin de la terre fermeet d’Ischia, et déjà à demi engagés dans le canal qui sépare le capMisène de l’île grecque de Procida. Nous n’avions qu’un parti àprendre : nous engager résolument dans le canal, et, si nousréussissions à le franchir, nous jeter à gauche dans le golfe deBaïa et nous abriter dans ses eaux tranquilles.

Le vieux pêcheur n’hésita pas. Du sommet d’unelame où l’équilibre de la barque nous suspendit un moment dans untourbillon d’écume, il jeta un regard rapide autour de lui, commeun homme égaré qui monte sur un arbre pour chercher sa route, puisse précipitant au gouvernail : « À vos rames,enfants ! s’écria-t-il ; il faut que nous voguions au capplus vite que le vent ; s’il nous y devance, nous sommesperdus ! » Nous obéîmes comme le corps obéit àl’instinct.

Les yeux fixés sur ses yeux pour y chercher lerapide indice de sa direction, nous nous penchâmes sur nos avirons,et tantôt gravissant péniblement le flanc des lames montantes,tantôt nous précipitant avec leur écume au fond des lamesdescendantes, nous cherchions à activer notre ascension ou àralentir notre chute par la résistance de nos rames dans l’eau.Huit ou dix vagues de plus en plus énormes nous jetèrent dans leplus étroit du canal. Mais le vent nous avait devancés, commel’avait dit le pilote, et, en s’engouffrant entre le cap et lapointe de l’île, il avait acquis une telle force, qu’il soulevaitla mer avec les bouillonnements d’une lave furieuse, et que lavague, ne trouvant pas d’espace pour fuir assez vite devantl’ouragan qui la poussait, s’amoncelait sur elle-même, retombait,ruisselait, s’éparpillait dans tous les sens comme une mer folle,et, cherchant à fuir sans pouvoir s’échapper du canal, se heurtaitavec des coups terribles contre les rochers à pic du cap Misène ety élevait une colonne d’écume dont la poussière était renvoyéejusque sur nous.

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