Graziella

XXI

Hélas ! ce n’était pas le complet amour,ce n’en était en moi que l’ombre. Mais j’étais trop enfant et tropnaïf encore pour ne pas m’y tromper moi-même. Je crus que jel’adorais comme tant d’innocence, de beauté et d’amour méritaientd’être adorés d’un amant. Je le lui dis avec cet accent sincère quedonne l’émotion et avec cette passion contenue que donnent lasolitude, la nuit, le désespoir, les larmes. Elle le crut, parcequ’elle avait besoin de le croire pour vivre et parce qu’elle avaitassez de passion elle-même dans son âme pour couvrir l’insuffisancede mille autres cœurs.

La nuit entière se passa ainsi dansl’entretien confiant, mais naïf et pur, de deux êtres qui sedévoilent innocemment leur tendresse et qui voudraient que la nuitet le silence fussent éternels pour que rien d’étranger à eux nevînt s’interposer entre la bouche et le cœur. Sa piété et maréserve timide, l’attendrissement même de nos âmes, éloignaient denous tout autre danger. Le voile de nos larmes était sur nous. Iln’y a rien de si loin de la volupté que l’attendrissement. Abuserd’une pareille intimité, c’eût été profaner deux âmes.

Je tenais ses deux mains dans les miennes. Jeles sentais se ranimer à la vie. J’allais lui chercher de l’eaufraîche pour boire dans le creux de ma main ou pour essuyer sonfront et ses joues. Je rallumais le feu en y jetant quelquesbranches ; puis je revenais m’asseoir sur la pierre à côté dufagot de myrte où reposait sa tête pour entendre et pour entendreencore les confidences délicieuses de son amour : comment ilétait né en elle à son insu, sous les apparences d’une pure etdouce amitié de sœur ; comment elle s’était d’abord alarmée,puis rassurée ; à quel signe elle avait enfin reconnu qu’ellem’aimait ; combien de marques secrètes de préférence ellem’avait données à mon insu ; quel jour elle croyait s’êtretrahie ; quel autre elle avait cru s’apercevoir que je lapayais de retour ; les heures, les gestes, les sourires, lesmots échappés et retenus, les révélations ou les nuagesinvolontaires de nos visages pendant ces six mois. Sa mémoire avaittout conservé ; elle lui rappelait tout, comme l’herbe desmontagnes du Midi, à laquelle le vent a mis le feu pendant l’été,conserve l’empreinte de l’incendie à toutes les places où la flammea passé.

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