XVIII
Je n’hésitai plus ; je donnai un coupd’épaule de toutes les forces de mon impatience et de moninquiétude à la vieille porte, la serrure céda et se détacha sousl’effort, et je me précipitai dans la maison.
La petite lampe rallumée devant la Madone parGraziella l’éclairait d’une faible lueur. Je courus au fond de laseconde chambre où j’avais entendu sa voix et sa chute, et où je lacroyais évanouie. Elle ne l’était pas. Seulement sa faiblesse avaittrahi son effort ; elle était retombée sur le tas de bruyèresèche qui lui servait de lit, et joignait ses mains en meregardant. Ses yeux animés par la fièvre, ouverts par l’étonnementet alanguis par l’amour brillaient fixes comme deux étoiles dontles lueurs tombent du ciel, et qui semblent vous regarder.
Sa tête, qu’elle cherchait à relever retombaitde faiblesse sur les feuilles, renversée en arrière et comme si lecou était brisé. Elle était pâle comme l’agonie, excepté sur lespommettes des joues teintes de quelques vives roses. Sa belle peauétait marbrée de taches de larmes et de la poussière qui s’y étaitattachée. Son vêtement noir se confondait avec la couleur brune desfeuilles répandues à terre et sur lesquelles elle était couchée.Ses pieds nus, blancs comme le marbre, dépassaient de toute leurlongueur le tas de fougères et reposaient sur la pierre. Desfrissons couraient sur tous ses membres et faisaient claquer sesdents comme des castagnettes dans une main d’enfant. Le mouchoirrouge qui enveloppait ordinairement les longues tresses noires deses beaux cheveux était détaché et étendu comme un demi-voile surson front jusqu’au bord de ses yeux. On voyait qu’elle s’en étaitservie pour ensevelir son visage et ses larmes dans l’ombre commedans l’immobilité anticipée d’un linceul, et qu’elle ne l’avaitrelevé qu’en entendant ma voix et en se plaçant sur son séant pourvenir m’ouvrir.