Graziella

XIX

Je me jetai à genoux à côté de labruyère ; je pris ses deux mains glacées dans lesmiennes ; je les portai à mes lèvres pour les réchauffer sousmon haleine ; quelques larmes de mes yeux y tombèrent. Jecompris, au serrement convulsif de ses doigts, qu’elle avait senticette pluie du cœur et qu’elle m’en remerciait. J’ôtai ma capote demarin. Je la jetai sur ses pieds nus. Je les enveloppai dans lesplis de la laine.

Elle me laissait faire en me suivant seulementdes yeux avec une expression d’heureux délire, mais sans pouvoirencore s’aider elle-même d’aucun mouvement, comme un enfant qui selaisse emmailloter et retourner dans son berceau. Je jetai ensuitedeux ou trois fagots de bruyère dans le foyer de la premièrechambre pour réchauffer un peu l’air. Je les allumai à la flamme dela lampe, et je revins m’asseoir à terre à côté du lit defeuilles.

« Que je me sens bien ! » medit-elle en parlant tout bas, d’un ton doux, égal et monotone,comme si sa poitrine eût perdu à la fois toute vibration et toutaccent et n’eût plus conservé qu’une seule note dans la voix.« J’ai voulu en vain me le cacher à moi-même, j’ai voulu envain te le cacher toujours, à toi. Je peux mourir mais je ne peuxpas aimer un autre que toi. Ils ont voulu me donner un fiancé,c’est toi qui es le fiancé de mon âme ! Je ne me donnerai pasà un autre sur la terre, car je me suis donnée en secret àtoi ! Toi sur la terre, ou Dieu dans le ciel ! c’est levœu que j’ai fait le premier jour où j’ai compris que mon cœurétait malade de toi. Je sais bien que je ne suis qu’une pauvrefille indigne de toucher seulement tes pieds par sa pensée. Aussije ne t’ai jamais demandé de m’aimer. Je ne te demanderai jamais situ m’aimes. Mais moi, je t’aime, je t’aime, je t’aime ! »Et elle semblait concentrer toute son âme dans ces trois mots.« Et maintenant, méprise-moi, raille-moi, foule-moi auxpieds ! Moque-toi de moi, si tu veux, comme d’une folle quirêve qu’elle est reine dans ses haillons. Livre-moi à la risée detout le monde ! Oui, je leur dirai moi-même : « Oui,je l’aime ! et si vous aviez été à ma place, vous auriez faitcomme moi, vous seriez mortes ou vous l’auriezaimé ! »

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