Graziella

X

La jeune fille me mena par la main dans sachambre, pour me faire admirer les petits ouvrages de corailqu’elle avait déjà tournés et polis. Ils étaient proprement rangéssur du coton dans de petits cartons sur le pied de son lit. Ellevoulut en façonner un morceau devant moi. Je faisais tourner laroue du petit tour avec le bout de mon pied, en face d’elle,pendant qu’elle présentait la branche rouge de corail à la sciecirculaire qui la coupait en grinçant. Elle arrondissait ensuiteces morceaux, en les tenant du bout des doigts, et en les usantcontre la meule.

La poussière rose couvrait ses mains, et,volant quelquefois jusqu’à son visage, saupoudrait ses joues et seslèvres d’un léger fard, qui faisait paraître ses yeux plus bleus etplus resplendissants. Puis elle s’essuya en riant et secoua sescheveux noirs, dont la poussière me couvrit à mon tour« N’est-ce pas, dit-elle, que c’est un bel état pour une fillede la mer comme moi ? Nous lui devons tout, à la mer :depuis la barque de mon grand-père et le pain que nous mangeonsjusqu’à ces colliers et à ces pendants d’oreilles dont je meparerai peut-être un jour, quand j’en aurai tant poli et tantfaçonné pour de plus riches et de plus belles que moi. »

La matinée se passa ainsi à causer à folâtrerà travailler sans que l’idée me vînt de m’en aller Je partageai, àmidi, le repas de la famille. Le soleil, le grand air, lecontentement d’esprit, la frugalité de la table, qui ne portait quedu pain, un peu de poisson frit et des fruits conservés dans lacave, m’avaient rendu l’appétit et les forces. J’aidai le père,après midi, à raccommoder les mailles d’un vieux filet étendu surl’astrico.

Graziella, dont nous entendions le piedcadencé faisant tourner la meule, le bruit du rouet de lagrand-mère et les voix des enfants qui jouaient avec les orangessur le seuil de la maison, accompagnaient mélodieusement notretravail. Graziella sortait de temps en temps pour secouer sescheveux sur le balcon, nous échangions un regard, un mot amical, unsourire. Je me sentais heureux, sans savoir de quoi, jusqu’au fondde l’âme. J’aurais voulu être une des plantes d’aloès enracinéesdans les clôtures du jardin, ou un des lézards qui se chauffaientau soleil auprès de nous sur la terrasse et qui habitaient aveccette pauvre famille les fentes du mur de la maison.

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