Graziella

XXXI

Le silence dura un moment ainsi dans lachambre. À la fin, plus peiné que réjoui de cette profanation de lanature, je m’avançai vers elle en faisant des lèvres une moue unpeu moqueuse, et en la regardant avec une légère expression dereproche et de douce raillerie, faisant semblant de la reconnaîtreavec peine sous cet attirail de toilette. « Comment, luidis-je, c’est toi, Graziella ? Oh ! qui est-ce qui auraitjamais reconnu la belle Procitane dans cette poupée deParis ? Allons donc, continuai-je un peu rudement, n’as-tu pashonte de défigurer ainsi ce que Dieu a fait si charmant sous soncostume naturel ? Tu auras beau faire, va ! tu ne serasjamais qu’une fille des vagues au pied marin et coiffée par lesrayons de ton beau ciel. Il faut t’y résigner et en remercier Dieu.Ces plumes de l’oiseau de cage ne s’adapteront jamais bien àl’hirondelle de mer. »

Ce mot la perça jusqu’au cœur. Elle ne compritpas ce qu’il y avait dans mon esprit de préférence passionnée etd’adoration pour l’hirondelle de mer. Elle crut que je la défiaisde ressembler jamais à une beauté de ma race et de mon pays. Ellepensa que tous ses efforts pour se faire plus belle à cause de moiet pour tromper mes yeux sur son humble condition étaient perdus.Elle fondit tout à coup en pleurs, et s’asseyant sur son lit, levisage caché dans ses doigts, elle pria, d’un ton boudeur sesjeunes amies de venir la débarrasser de son odieuse parure.« Je savais bien, dit-elle en gémissant, que je n’étais qu’unepauvre Procitane. Mais je croyais qu’en changeant d’habits je ne teferais pas tant de honte un jour si je te suivais dans ton pays. Jevois bien qu’il faut rester ce que je suis et mourir où je suisnée. Mais tu n’aurais pas dû me le reprocher. »

À ces mots, elle arracha avec dépit lesfleurs, le bonnet, le fichu, et, les jetant d’un geste de colèreloin d’elle, elle les foula aux pieds en leur adressant des parolesde reproche, comme sa grand-mère avait fait aux planches de labarque après le naufrage. Puis, se précipitant vers moi, ellesouffla la lampe dans ma main pour que je ne la visse pas pluslongtemps dans ce costume qui m’avait déplu.

Je sentis que j’avais eu tort de badiner troprudement avec elle, et que le badinage était sérieux. Je luidemandai pardon. Je lui dis que je ne l’avais grondée ainsi queparce que je la trouvais mille fois plus ravissante en Procitanequ’en Française. C’était vrai. Mais le coup était porté. Elle nem’écoutait plus ; elle sanglotait.

Ses amies la déshabillèrent ; je ne larevis plus que le lendemain. Elle avait repris ses habitsd’insulaire. Mais ses yeux étaient rouges des larmes que cebadinage lui avait coûtées toute la nuit !

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