XVI
Le lendemain, quand je la revis sous lestreilles et que je voulus lui parler elle se détourna commequelqu’un qui cache ses larmes et refusa de me répondre. On voyaità ses yeux bordés d’un léger cercle noir, à la pâleur plus mate deses joues et à une légère et gracieuse dépression des coins de sabouche, qu’elle n’avait pas dormi, et que son cœur était encoregros des chagrins imaginaires de la veillée. Merveilleuse puissanced’un livre qui agit sur le cœur d’une enfant illettrée et d’unefamille ignorante avec toute la force d’une réalité, et dont lalecture est un événement dans la vie du cœur !
C’est que de même que je traduisais le poème,le poème avait traduit la nature, et que ces événements si simples,le berceau de ces deux enfants aux pieds de deux pauvres mères,leurs amours innocents, leur séparation cruelle, ce retour trompépar la mort, ce naufrage et ces deux tombeaux, n’enfermant qu’unseul cœur, sous les bananiers, sont des choses que tout le mondesent et comprend, depuis le palais jusqu’à la cabane du pêcheur Lespoëtes cherchent le génie bien loin, tandis qu’il est dans le cœuret que quelques notes bien simples, touchées pieusement et parhasard sur cet instrument monté par Dieu même, suffisent pour fairepleurer tout un siècle, et pour devenir aussi populaires quel’amour et aussi sympathiques que le sentiment. Le sublime lasse,le beau trompe, le pathétique seul est infaillible dans l’art.Celui qui sait attendrir sait tout. Il y a plus de génie dans unelarme que dans tous les musées et dans toutes les bibliothèques del’univers. L’homme est comme l’arbre qu’on secoue pour en fairetomber ses fruits : on n’ébranle jamais l’homme sans qu’il entombe des pleurs.