IV
Nous nous placions nous-mêmes par la penséedans quelques-unes de ces situations fictives ou réelles que lepoëte ou l’historien venait de raconter pour nous. Nous nousfaisions un idéal d’amant ou de citoyen, de vie cachée ou de viepublique, de félicité ou de vertu. Nous nous plaisions à combinerces grandes circonstances, ces merveilleux hasards des temps derévolution, où les hommes les plus obscurs sont révélés à la foulepar le génie et appelés, comme par leurs noms, à combattre latyrannie et à sauver les nations ; puis, victimes del’instabilité et de l’ingratitude des peuples, condamnés à mourirsur l’échafaud, en face du temps qui les méconnaît et de lapostérité qui les venge.
Il n’y avait pas de rôle, quelque héroïquequ’il fût, qui n’eût trouvé nos âmes au niveau des situations. Nousnous préparions à tout, et si la fortune, un jour, ne réalisait pasces grandes épreuves où nous nous précipitions en idée, nous nousvengions d’avance en la méprisant. Nous avions en nous-mêmes cetteconsolation des âmes fortes : que si notre vie restaitinutile, vulgaire et obscure, c’était la fortune qui nousmanquerait, ce n’était pas nous qui aurions manqué à lafortune !