Graziella

V

Quand le soleil baissait, nous faisions delongues courses à travers l’île. Nous la traversions dans tous lessens. Nous allions à la ville acheter le pain ou les légumes quimanquaient au jardin d’Andréa. Quelquefois nous rapportions un peude tabac, cet opium du marin, qui l’anime en mer et qui leconsole à terre. Nous rentrions à la nuit tombante, les poches etles mains pleines de nos modestes munificences. La famille serassemblait, le soir sur le toit qu’on appelle à Naplesl’astrico, pour attendre les heures du sommeil. Rien de sipittoresque, dans les belles nuits de ce climat, que la scène del’astrico au clair de la lune.

À la campagne, la maison basse et carréeressemble à un piédestal antique, qui porte des groupes vivants etdes statues animées. Tous les habitants de la maison y montent, s’ymeuvent ou s’y assoient dans des attitudes diverses ; laclarté de la lune ou les lueurs de la lampe projettent et dessinentces profils sur le fond bleu du firmament. On y voit la vieillemère filer le père fumer sa pipe de terre cuite à la tige deroseau, les jeunes garçons s’accouder sur le rebord et chanter enlongues notes traînantes ces airs marins ou champêtres dontl’accent prolongé ou vibrant a quelque chose de la plainte du boistorturé par les vagues ou de la vibration stridente de la cigale ausoleil ; les jeunes filles enfin, avec leurs robes courtes,les pieds nus, leurs soubrevestes vertes et galonnées d’or ou desoie, et leurs longs cheveux noirs flottants sur leurs épaules,enveloppés d’un mouchoir noué sur la nuque, à gros nœuds, pourpréserver leur chevelure de la poussière.

Elles y dansent souvent seules ou avec leurssœurs ; l’une tient une guitare, l’autre élève sur sa tête untambour de basque entouré de sonnettes de cuivre. Ces deuxinstruments, l’un plaintif et léger, l’autre monotone et sourd,s’accordent merveilleusement pour rendre presque sans art les deuxnotes alternatives du cœur de l’homme : la tristesse et lajoie. On les entend pendant les nuits d’été sur presque tous lestoits des îles ou de la campagne de Naples, même sur lesbarques ; ce concert aérien, qui poursuit l’oreille de site ensite, depuis la mer jusqu’aux montagnes, ressemble auxbourdonnements d’un insecte de plus, que la chaleur fait naître etbourdonner sous ce beau ciel. Ce pauvre insecte, c’estl’homme ! qui chante quelques jours devant Dieu sa jeunesse etses amours, et puis qui se tait pour l’éternité. Je n’ai jamais puentendre ces notes répandues dans l’air du haut desastricos, sans m’arrêter et sans me sentir le cœur serré,prêt à éclater de joie intérieure ou de mélancolie plus forte quemoi.

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