XXIV – CHANT D’AMOUR
Naples, 1822.
Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphyre
À travers les rameaux,
Ou l’onde qui murmure en caressant cesrives,
Ou le roucoulement des colombesplaintives,
Jouant aux bords des eaux ;
Si, comme ce roseau qu’un souffle heureuxanime,
Tes cordes exhalaient ce langage sublime,
Divin secret des cieux,
Que, dans le pur séjour où l’esprit seuls’envole,
Les anges amoureux se parlent sans parole,
Comme les yeux aux yeux ;
Si de ta douce voix la flexible harmonie,
Caressant doucement une âme épanouie
Au souffle de l’amour,
La berçait mollement sur de vagues images,
Comme le vent du ciel fait flotter lesnuages
Dans la pourpre du jour :
Tandis que sur les fleurs mon amantesommeille,
Ma voix murmurerait tout bas à son oreille
Des soupirs, des accords,
Aussi purs que l’extase où son regard meplonge,
Aussi doux que le son que nous apporte unsonge
Des ineffables bords !
Ouvre les yeux, dirais-je, à ma seulelumière !
Laisse-moi, laisse-moi lire dans tapaupière
Ma vie et ton amour !
Ton regard languissant est plus cher à monâme
Que le premier rayon de la céleste flamme
Aux yeux privés du jour.
…………………………
Un de ses bras fléchit sous son cou qui lepresse,
L’autre sur son beau front retombe avecmollesse,
Et le couvre à demi :
Telle, pour sommeiller, la blanchetourterelle
Courbe son cou d’albâtre et ramène sonaile
Sur son œil endormi !
Le doux gémissement de son sein quirespire
Se mêle au bruit plaintif de l’onde quisoupire
À flots harmonieux ;
Et l’ombre de ses cils, que le zéphyrsoulève,
Flotte légèrement comme l’ombre d’un rêve
Qui passe sur ses yeux !
…………………………
Que ton sommeil est doux, ô vierge ! ô macolombe !
Comme d’un cours égal ton sein monte etretombe
Avec un long soupir !
Deux vagues que blanchit le rayon de lalune,
D’un mouvement moins doux viennent l’une aprèsl’une
Murmurer et mourir !
Laisse-moi respirer sur ces lèvresvermeilles
Ce souffle parfumé !… Qu’ai-jefait ? Tu t’éveilles :
L’azur voilé des cieux
Vient chercher doucement ta timidepaupière ;
Mais toi, ton doux regard, en voyant lalumière,
N’a cherché que mes yeux !
Ah ! que nos longs regards se suivent, seprolongent,
Comme deux purs rayons l’un dans l’autre seplongent,
Et portent tour à tour
Dans le cœur l’un de l’autre une tremblanteflamme,
Ce jour intérieur que donne seul à l’âme
Le regard de l’amour !
Jusqu’à ce qu’une larme aux bords de tapaupière,
De son nuage errant te cachant la lumière,
Vienne baigner tes yeux,
Comme on voit, au réveil d’une charmanteaurore,
Les larmes du matin, qu’elle attire etcolore,
L’ombrager dans les cieux.
…………………………
Parle-moi ! Que ta voix metouche !
Chaque parole sur ta bouche
Est un écho mélodieux !
Quand ta voix meurt dans mon oreille,
Mon âme résonne et s’éveille,
Comme un temple à la voix des dieux !
Un souffle, un mot, puis un silence,
C’est assez : mon âme devance
Le sens interrompu des mots,
Et comprend ta voix fugitive,
Comme le gazon de la rive
Comprend le murmure des flots.
Un son qui sur ta bouche expire,
Une plainte, un demi-sourire,
Mon cœur entend tout sans effort :
Tel, en passant par une lyre,
Le souffle même du zéphyre
Devient un ravissant accord !
…………………………
Pourquoi sous tes cheveux me cacher tonvisage ?
Laisse mes doigts jaloux écarter cenuage :
Rougis-tu d’être belle, ô charme de mesyeux ?
L’aurore, ainsi que toi, de ses rosess’ombrage.
Pudeur ! honte céleste ! instinctmystérieux,
Ce qui brille le plus se voiledavantage ;
Comme si la beauté, cette divine image,
N’était faite que pour les cieux !
Tes yeux sont deux sources vives
Où vient se peindre un ciel pur,
Quand les rameaux de leurs rives
Leur découvrent son azur.
Dans ce miroir retracées,
Chacune de tes pensées
Jette en passant son éclair,
Comme on voit sur l’eau limpide
Flotter l’image rapide
Des cygnes qui fendent l’air !
Ton front, que ton voile ombrage
Et découvre tour à tour,
Est une nuit sans nuage
Prête à recevoir le jour ;
Ta bouche, qui va sourire,
Est l’onde qui se retire
Au souffle errant du zéphyr,
Et, sur ces bords qu’elle quitte,
Laisse au regard qu’elle invite,
Compter les perles d’Ophyr !
Ton cou, penché sur l’épaule,
Tombe sous son doux fardeau,
Comme les branches du saule
Sous le poids d’un passereau ;
Ton sein, que l’œil voit à peine
Soulevant à chaque haleine
Le poids léger de ton cœur,
Est comme deux tourterelles
Qui font palpiter leurs ailes
Dans la main de l’oiseleur.
Tes deux mains sont deux corbeilles
Qui laissent passer le jour ;
Tes doigts de roses vermeilles
En couronnent le contour.
Sur le gazon qui l’embrasse
Ton pied se pose, et la grâce,
Comme un divin instrument,
Aux sons égaux d’une lyre
Semble accorder et conduire
Ton plus léger mouvement.
…………………………
Pourquoi de tes regards percer ainsi monâme ?
Baisse, oh ! baisse tes yeux pleins d’unechaste flamme :
Baisse-les, ou je meurs.
Viens plutôt, lève-toi ! Mets ta maindans la mienne,
Que mon bras arrondi t’entoure et tesoutienne
Sur ces tapis de fleurs.
…………………………
Aux bords d’un lac d’azur il est unecolline
Dont le front verdoyant légèrements’incline
Pour contempler les eaux ;
Le regard du soleil tout le jour lacaresse,
Et l’haleine de l’onde y fait flotter sanscesse
Les ombres des rameaux.
Entourant de ses plis deux chênes qu’elleembrasse
Une vigne sauvage à leurs rameauxs’enlace,
Et, couronnant leurs fronts,
De sa pâle verdure éclaircit leurfeuillage,
Puis sur des champs coupés de lumière etd’ombrage
Court en riants festons.
Là, dans les flancs creusés d’un rocher quisurplombe,
S’ouvre une grotte obscure, un nid où lacolombe
Aime à gémir d’amour ;
La vigne, le figuier, la voilent, latapissent,
Et les rayons du ciel, qui lentement s’yglissent,
Y mesurent le jour.
La nuit et la fraîcheur de ces ombresdiscrètes
conservent plus longtemps aux pâlesviolettes
Leurs timides couleurs ;
Une source plaintive en habite la voûte,
Et semble sur vos fronts distiller goutte àgoutte
Des accords et des pleurs.
Le regard, à travers ce rideau de verdure,
Ne voit rien que le ciel et l’onde qu’ilazure ;
Et sur le sein des eaux
Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sanacelle,
Fendent ce ciel limpide, et battent commel’aile
Des rapides oiseaux.
L’oreille n’entend rien qu’une vagueplaintive
Qui, comme un long baiser, murmure sur sarive,
Ou la voix des zéphyrs,
Ou les sons cadencés que gémit Philomèle,
Ou l’écho du rocher, dont un soupir semêle
À nos propres soupirs.
…………………………
Viens, cherchons cette ombre propice
Jusqu’à l’heure où de ce séjour
Les fleurs fermeront leur calice
Aux regards languissants du jour.
Voilà ton ciel, ô mon étoile !
Soulève, oh ! soulève ce voile,
Éclaire la nuit de ces lieux ;
Parle, chante, rêve, soupire,
Pourvu que mon regard attire
Un regard errant de tes yeux.
Laisse-moi parsemer de roses
La tendre mousse où tu t’assieds,
Et près du lit où tu reposes
Laisse-moi m’asseoir à tes pieds.
Heureux le gazon que tu foules,
Et le bouton dont tu déroules
Sous tes doigts les fraîchescouleurs !
Heureuses ces coupes vermeilles
Que pressent tes lèvres, pareilles
Aux frelons qui tètent les fleurs !
Si l’onde des lis que tu cueilles
Roule les calices flétris,
Des tiges que ta bouche effeuille
Si le vent m’apporte un débris,
Si ta bouche qui se dénoue
Vient, en ondulant sur ma joue,
De ma lèvre effleurer le bord ;
Si ton souffle léger résonne,
Je sens sur mon front qui frissonne
Passer les ailes de la mort.
Souviens-toi de l’heure bénie
Où les dieux, d’une tendre main,
Te répandirent sur ma vie
Comme l’ombre sur le chemin.
Depuis cette heure fortunée,
Ma vie à ta vie enchaînée,
Qui s’écoule comme un seul jour,
Est une coupe toujours pleine,
Où mes lèvres à longue haleine
Puisent l’innocence et l’amour.
Ah ! lorsque mon front qui s’incline
Chargé d’une douce langueur,
S’endort bercé sur ta poitrine
Par le mouvement de ton cœur,
…………………………
Un jour, le temps jaloux, d’une haleineglacée,
Fanera tes couleurs comme une fleur passée
Sur ces lits de gazon ;
Et sa main flétrira sur tes charmanteslèvres
Ces rapides baisers, hélas ! dont tu mesèvres
Dans leur fraîche saison.
Mais quand tes yeux, voilés d’un nuage delarmes,
De ces jours écoulés qui t’ont ravi tescharmes
Pleureront la rigueur ;
Quand dans ton souvenir, dans l’onde durivage
Tu chercheras en vain ta ravissante image,
Regarde dans mon cœur !
Là ta beauté fleurit pour des siècles sansnombre ;
Là ton doux souvenir veille à jamais àl’ombre
De ma fidélité,
Comme une lampe d’or dont une viergesainte
Protège avec la main, en traversantl’enceinte,
La tremblante clarté.
Et quand la mort viendra, d’un autre amoursuivie,
Éteindre en souriant de notre double vie
L’un et l’autre flambeau,
Qu’elle étende ma couche à côté de latienne,
Et que ta main fidèle embrasse encor lamienne
Dans le lit du tombeau.
Ou plutôt puissions-nous passer sur cetteterre,
Comme on voit en automne un couplesolitaire
De cygnes amoureux
Partir, en s’embrassant, du nid qui lesrassemble,
Et vers les doux climats qu’ils vont chercherensemble
S’envoler deux à deux.