Méditations poétiques

X – ODE.

Delicta majorum immeritus lues.

Horat., od. VI, lib. III.

Peuple ! des crimes de tes pères

Le ciel punissant tes enfants,

De châtiments héréditaires

Accablera leurs descendants,

Jusqu’à ce qu’une main propice

Relève l’auguste édifice

Par qui la terre touche aux cieux,

Et que le zèle et la prière

Dissipent l’indigne poussière

Qui couvre l’image des dieux !

Sortez de vos débris antiques,

Temples que pleurait Israël ;

Relevez-vous, sacrés portiques ;

Lévites, montez à l’autel !

Aux sons des harpes de Solyme,

Que la renaissante victime

S’immole sous vos chastes mains ;

Et qu’avec les pleurs de la terre

Son sang éteigne le tonnerre

Qui gronde encor sur les humains !

Plein d’une superbe folie,

Ce peuple au front audacieux

S’est dit un jour : « Dieum’humilie ;

Soyons à nous-mêmes nos dieux.

Notre intelligence sublime

A sondé le ciel et l’abîme

Pour y chercher ce grand esprit ;

Mais ni dans les flancs de la terre,

Mais ni dans les feux de la sphère,

Son nom pour nous ne fut écrit.

« Déjà nous enseignons au monde

À briser le sceptre des rois ;

Déjà notre audace profonde

Se rit du joug usé des lois.

Secouez, malheureux esclaves,

Secouez d’indignes entraves,

Rentrez dans votre liberté !

Mortel ! du jour où tu respires,

Ta loi, c’est ce que tu désires ;

Ton devoir, c’est la volupté !

« Ta pensée a franchi l’espace,

Tes calculs précèdent les temps,

La foudre cède à ton audace,

Les cieux roulent tes charsflottants ;

Comme un feu que tout alimente,

Ta raison, sans cesse croissante,

S’étendra sur l’immensité ;

Et ta puissance, qu’elle assure,

N’aura de terme et de mesure

Que l’espace et l’éternité.

Heureux nos fils ! heureux cet âge

Qui, fécondé par nos leçons,

Viendra recueillir l’héritage

Des dogmes que nous lui laissons !

Pourquoi les jalouses années

Bornent-elles nos destinées

À de si rapides instants ?

Ô loi trop injuste et trop dure !

Pour triompher de la nature

Que nous a-t-il manqué ? Letemps »

Eh bien, le temps sur vos poussières

À peine encore a fait un pas.

Sortez, ô mânes de nos pères,

Sortez de la nuit du trépas !

Venez contempler votre ouvrage ;

Venez partager de cet âge

La gloire et la félicité !

Ô race en promesses féconde,

Paraissez ! Bienfaiteurs du monde,

Voilà votre postérité !

Que vois-je ? ils détournent la vue,

Et, se cachant sous leurs lambeaux,

Leur foule, de honte éperdue,

Fuit et rentre dans les tombeaux.

Non, non, restez, ombres coupables ;

Auteurs de nos jours déplorables,

Restez ! ce supplice est trop doux.

Le ciel, trop lent à vous poursuivre,

Devait vous condamner à vivre

Dans le siècle enfanté par vous !

Où sont-ils, ces jours où la France,

À la tête des nations,

Se levait comme un astre immense

Inondant tout de ses rayons ?

Parmi nos siècles, siècle unique,

De quel cortège magnifique

La gloire composait ta cour !

Semblable au dieu qui nous éclaire,

Ta grandeur étonnait la terre,

Dont tes clartés étaient l’amour !

Toujours les siècles du génie

Sont donc les siècles des vertus !

Toujours les dieux de l’harmonie

Pour les héros sont descendus !

Près du trône qui les inspire,

Voyez-les déposer la lyre

Dans de pures et chastes mains ;

Et les Racine et les Turenne

Enchaîner les grâces d’Athènes

Au char triomphant des Romains !

Mais, ô déclin ! quel souffle aride

De notre âge a séché les fleurs ?

Eh quoi ! le lourd compas d’Euclide

Étouffe nos arts enchanteurs ?

Élans de l’âme et du génie,

Des calculs la froide manie

Chez nos pères vous remplaça :

Ils posèrent sur la nature

Le doigt glacé qui la mesure,

Et la nature se glaça !

Et toi, prêtresse de la terre,

Vierge du Pinde ou de Sion,

Tu fuis ce globe de matière,

Privé de ton dernier rayon !

Ton souffle divin se retire

De ces cœurs flétris, que la lyre

N’émeut plus de ses sons touchants ;

Et pour son Dieu qui le contemple,

Sans toi l’univers est un temple

Qui n’a plus ni parfums ni chants !

Pleurons donc, enfants de nos pères !

Pleurons ! de deuil couvrons nosfronts ;

Lavons dans nos larmes amères

Tant d’irréparables affronts !

Comme les fils d’Héliodore,

Rassemblons du soir à l’aurore

Les débris du temple abattu ;

Et sous ces cendres criminelles

Cherchons encor les étincelles

Du génie et de la vertu.

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