Méditations poétiques

IX – ISCHIA

Le soleil va porter le jour à d’autresmondes ;

Dans l’horizon désert Phébé monte sansbruit,

Et jette, en pénétrant les ténèbresprofondes,

Un voile transparent sur le front de lanuit.

Voyez du haut des monts ses clartésondoyantes

Comme un fleuve de flamme inonder lescoteaux,

Dormir dans les vallons, ou glisser sur lespentes,

Ou rejaillir au loin du sein brillant deseaux.

La douteuse lueur, dans l’ombre répandue,

Teint d’un jour azuré la pâle obscurité,

Et fait nager au loin dans la vagueétendue

Les horizons baignés par sa molleclarté !

L’Océan amoureux de ces rives tranquilles

Calme, en baisant leurs pieds, ses orageuxtransports,

Et pressant dans ses bras ces golfes et cesîles,

De son humide haleine en rafraîchit lesbords.

Du flot qui tour à tour s’avance et seretire

L’œil aime à suivre au loin le flexiblecontour :

On dirait un amant qui presse en sondélire

La vierge qui résiste, et cède tour àtour !

Doux comme le soupir de l’enfant quisommeille,

Un son vague et plaintif se répand dans lesairs :

Est-ce un écho du ciel qui charme notreoreille ?

Est-ce un soupir d’amour de la terre et desmers ?

Il s’élève, il retombe, il renaît, ilexpire,

Comme un cœur oppressé d’un poids devolupté,

Il semble qu’en ces nuits la naturerespire,

Et se plaint comme nous de safélicité !

Mortel, ouvre ton âme à ces torrents devie !

Reçois par tous les sens les charmes de lanuit,

À t’enivrer d’amour son ombre teconvie ;

Son astre dans le ciel se lève, et teconduit.

Vois-tu ce feu lointain trembler sur lacolline ?

Par la main de l’Amour c’est un phareallumé ;

Là, comme un lis penché, l’amante quis’incline

Prête une oreille avide aux pas dubien-aimé !

La vierge, dans le songe où son âmes’égare,

Soulève un œil d’azur qui réfléchit lescieux,

Et ses doigts au hasard errant sur saguitare

Jettent aux vents du soir des sonsmystérieux !

 » Viens ! l’amoureux silence occupe auloin l’espace ;

Viens du soir près de moi respirer lafraîcheur !

C’est l’heure ; à peine au loin la voilequi s’efface

Blanchit en ramenant le paisiblepêcheur !

 » Depuis l’heure où ta barque a fui loin de larive,

J’ai suivi tout le jour ta voile sur lesmers,

Ainsi que de son nid la colombe craintive

Suit l’aile du ramier qui blanchit dans lesairs !

 » Tandis qu’elle glissait sous l’ombre durivage,

J’ai reconnu ta voix dans la voix deséchos ;

Et la brise du soir, en mourant sur laplage,

Me rapportait tes chants prolongés sur lesflots.

 » Quand la vague a grondé sur la côteécumante,

À l’étoile des mers j’ai murmuré ton nom,

J’ai rallumé sa lampe, et de ta seuleamante

L’amoureuse prière a fait fuirl’aquilon !

 » Maintenant sous le ciel tout repose, ou toutaime :

La vague en ondulant vient dormir sur lebord ;

La fleur dort sur sa tige, et la naturemême

Sous le dais de la nuit se recueille ets’endort.

 » Vois ! la mousse a pour nous tapissé lavallée,

Le pampre s’y recourbe en replis tortueux,

Et l’haleine de l’onde, à l’oranger mêlée,

De ses fleurs qu’elle effeuille embaume mescheveux.

« A la molle clarté de la voûtesereine

Nous chanterons ensemble assis sous lejasmin,

Jusqu’à l’heure où la lune, en glissant versMisène,

Se perd en pâlissant dans les feux dumatin. »

Elle chante ; et sa voix par intervalleexpire,

Et, des accords du luth plus faiblementfrappés,

Les échos assoupis ne livrent au zéphire

Que des soupirs mourants, de silencecoupés !

Celui qui, le cœur plein de délire et deflamme,

À cette heure d’amour, sous cet astreenchanté,

Sentirait tout à coup le rêve de son âme

S’animer sous les traits d’une chastebeauté ;

Celui qui, sur la mousse, au pied dusycomore,

Au murmure des eaux, sous un dais desaphirs,

Assis à ses genoux, de l’une à l’autreaurore,

N’aurait pour lui parler que l’accent dessoupirs ;

Celui qui, respirant son haleine adorée,

Sentirait ses cheveux, soulevés par lesvents,

Caresser en passant sa paupière effleurée,

Ou rouler sur son front leurs anneauxondoyants ;

Celui qui, suspendant les heuresfugitives,

Fixant avec l’amour son âme en ce beaulieu,

Oublierait que le temps coule encor sur cesrives,

Serait-il un mortel, ou serait-il undieu ?…

Et nous, aux doux penchants de ces vertsÉlysées,

Sur ces bords où l’amour eût caché sonEden,

Au murmure plaintif des vagues apaisées,

Aux rayons endormis de l’astre élysien,

Sous ce ciel où la vie, où le bonheurabonde,

Sur ces rives que l’œil se plaît àparcourir,

Nous avons respiré cet air d’un autremonde,

Élyse !… et cependant on dit qu’il fautmourir !

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