Méditations poétiques

XXVI – ADIEUX À LA POÉSIE

Il est une heure de silence

Où la solitude est sans voix,

Où tout dort, même l’Espérance ;

Où nul zéphyr ne se balance

Sous l’ombre immobile des bois ;

Il est un âge où de la lyre

L’âme aussi semble s’endormir,

Où du poétique délire

Le souffle harmonieux expire

Dans le sein qu’il faisait frémir.

L’oiseau qui charme le bocage,

Hélas ! ne chante pas toujours ;

À midi, caché sous l’ombrage,

Il n’enchante de son ramage

Que l’aube et le déclin des jours.

Adieu donc, adieu, voici l’heure,

Lyre aux soupirs mélodieux !

En vain à la main qui t’effleure

Ta fibre encor répond et pleure :

Voici l’heure de nos adieux.

Reçois cette larme rebelle

Que mes yeux ne peuvent cacher.

Combien sur ta corde fidèle

Mon âme, hélas ! en versa-t-elle,

Que tes soupirs n’ont pu sécher !

Sur cette terre infortunée,

Où tous les yeux versent des pleurs,

Toujours de cyprès couronnée,

La lyre ne nous fut donnée

Que pour endormir nos douleurs.

Tout ce qui chante ne répète

Que des regrets ou des désirs,

Du bonheur la corde est muette,

De Philomèle et du poète

Les plus doux chants sont dessoupirs :

Dans l’ombre, auprès d’un mausolée,

Ô lyre ! tu suivis mes pas,

Et des doux festins exilée

Jamais ta voix ne s’est mêlée

Aux chants des heureux d’ici-bas.

Pendue aux saules de la rive,

Libre comme l’oiseau des bois,

On n’a point vu ma main craintive

T’attacher comme une captive

Aux portes des palais des rois.

Des partis l’haleine glacée

Ne t’inspira pas tour à tour ;

Aussi chaste que la pensée,

Nul souffle ne t’a caressée,

Excepté celui de l’Amour.

En quelque lieu qu’un sort sévère

Fît plier mon front sous ses lois,

Grâce à toi, mon âme étrangère

A trouvé partout sur la terre

Un céleste écho de sa voix.

Aux monts d’où le jour semble éclore,

Quand je t’emportais avec moi

Pour louer celui que j’adore,

Le premier rayon de l’aurore

Ne se réveillait qu’après toi.

Au bruit des flots et des cordages,

Aux feux livides des éclairs,

Tu jetais des accords sauvages,

Et comme l’oiseau des orages

Tu rasais l’écume des mers.

Celle dont le regard m’enchaîne

À tes soupirs mêlait sa voix,

Et souvent ses tresses d’ébène

Frissonnaient sous ma molle haleine,

Comme tes cordes sous mes doigts.

…………………………

Peut-être à moi, lyre chérie,

Un jour tu pourras revenir,

Quand, de songes divins suivie,

La mort approche, et que la vie

S’éloigne comme un souvenir.

Dans cette seconde jeunesse

Qu’un doux oubli rend aux humains,

Souvent l’homme, dans sa tristesse,

Sur toi se penche et te caresse,

Et tu résonnes sous ses mains.

Ce vent qui sur nos âmes passe

Souffle à l’aurore, ou souffle tard ;

Il aime à jouer avec grâce

Dans les cheveux qu’un myrte enlace,

Ou dans la barbe du vieillard.

En vain une neige glacée

D’Homère ombrageait le menton ;

Et le rayon de la pensée

Rendait la lumière éclipsée

Aux yeux aveugles de Milton :

Autour d’eux voltigeaient encore

L’amour, l’illusion, l’espoir,

Comme l’insecte amant de Flore,

Dont les ailes semblent éclore

Aux tardives lueurs du soir.

Peut-être ainsi !… mais avant l’âge

Où tu reviens nous visiter,

Flottant de rivage en rivage,

J’aurai péri dans un naufrage,

Loin des cieux que je vais quitter.

Depuis longtemps ma voix plaintive

Sera couverte par les flots,

Et, comme l’algue fugitive,

Sur quelque sable de la rive

La vague aura roulé mes os.

Mais toi, lyre mélodieuse,

Surnageant sur les flots amers,

Des cygnes la troupe envieuse

Suivra ta trace harmonieuse

Sur l’abîme roulant des mers.

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