Méditations poétiques

VIII – LA SOLITUDE

Heureux qui, s’écartant des sentiersd’ici-bas,

À l’ombre du désert allant cacher ses pas,

D’un monde dédaigné secouant la poussière,

Efface, encor vivant, ses traces sur laterre,

Et, dans la solitude enfin enseveli,

Se nourrit d’espérance et s’abreuved’oubli !

Tel que ces esprits purs qui planent dansl’espace,

Tranquille spectateur de cette ombre quipasse,

Des caprices du sort à jamais défendu,

Il suit de l’œil ce char dont il estdescendu !…

Il voit les passions, sur une ondeincertaine,

De leur souffle orageux enfler la voileinhumaine.

Mais ces vents inconstants ne troublent plussa paix ;

Il se repose en Dieu, qui ne changejamais ;

Il aime à contempler ses plus hardisouvrages,

Ces monts, vainqueurs des vents, de la foudreet des âges,

Où dans leur masse auguste et leursolidité,

Ce Dieu grava sa force et son éternité.

À cette heure où, frappé d’un rayon del’aurore,

Leur sommet enflammé que l’Orient colore,

Comme un phare céleste allumé dans lanuit,

Jaillit étincelant de l’ombre quis’enfuit,

Il s’élance, il franchit ses riantescollines

Que le mont jette au loin sur ses largesracines,

Et, porté par degrés jusqu’à ses sombresflancs,

Sous ses pins immortels il s’enfonce à paslents :

Là, des torrents séchés le lit seul est saroute,

Tantôt les rocs minés sur lui pendent envoûte,

Et tantôt, sur leurs bords tout à coupsuspendu,

Il recule étonné ; son regard éperdu

Jouit avec horreur de cet effroi sublime,

Et sous ses pieds, longtemps, il voittournoyer l’abîme !

Il monte, et l’horizon grandit à chaqueinstant ;

Il monte, et devant lui l’immensités’étend

Comme sous le regard d’une nouvelleaurore ;

Un monde à chaque pas pour ses yeux sembleéclore !

Jusqu’au sommet suprême où son œilenchanté

S’empare de l’espace, et plane en liberté.

Ainsi, lorsque notre âme, à sa sourceenvolée,

Quitte enfin pour toujours la terrestrevallée,

Chaque coup de son aile, en l’élevant auxcieux,

Élargit l’horizon qui s’étend sous nosyeux ;

Des mondes sous son vol le mystères’abaisse,

En découvrant toujours, elle monte sanscesse

Jusqu’aux saintes hauteurs où l’œil duséraphin

Sur l’espace infini plonge un regard sansfin.

Salut, brillants sommets ! champs deneige et de glace !

Vous qui d’aucun mortel n’avez gardé latrace ;

Vous que le regard même aborde aveceffroi,

Et qui n’avez souffert que les aigles etmoi !

Œuvres du premier jour, augustes pyramides

Que Dieu même affermit sur vos basessolides !

Confins de l’univers, qui, depuis ce grandjour,

N’avez jamais changé de forme et decontour !

Le nuage, en grondant, parcourt en vain voscimes,

Le fleuve en vain grossi sillonne vosabîmes,

La foudre frappe en vain votre frontendurci ;

Votre front solennel, un moment obscurci,

Sur nous, comme la nuit, versant son ombreobscure,

Et laissant pendre au loin sa noirechevelure,

Semble, toujours vainqueur du choc quil’ébranla,

Au dieu qui l’a fondé dire encor : Mevoilà !

Et moi, me voici seul sur ces confins dumonde !

Loin d’ici, sous mes pieds la foudre vole etgronde,

Les nuages battus par les ailes des vents

Entre-choquant comme eux leurs tourbillonsmouvants,

Tels qu’un autre Océan soulevé parl’orage,

Se déroulent sans fin dans des lits sansrivage,

Et devant ces sommets abaissant leurorgueil,

Brisent incessamment sur cet immenseécueil.

Mais, tandis qu’à ses pieds ce noir chaosbouillonne,

D’éternelles splendeurs le soleil lecouronne :

Depuis l’heure où son char s’élance dans lesairs,

Jusqu’à l’heure où son disque incline vers lesmers,

Cet astre, en décrivant son obliquecarrière,

D’aucune ombre jamais n’y souille salumière,

Et déjà la nuit sombre a descendu descieux

Qu’à ces sommets encore il dit de longsadieux.

Là, tandis que je nage en des torrents dejoie,

Ainsi que mon regard, mon âme se déploie,

Et croit, en respirant cet air de liberté,

Recouvrer sa splendeur et sa sérénité.

Oui, dans cet air du ciel, les soins lourds dela vie,

Le mépris des mortels, leur haine, ou leurenvie,

N’accompagnent plus l’homme et ne surnagentpas :

Comme un vil plomb, d’eux-mêmes ils retombenten bas.

Ainsi, plus l’onde est pure, et moins l’hommey surnage.

…………………………

À peine de ce monde il emporte uneimage !

…………………………

Mais ton image, ô Dieu, dans ces grands traitsépars,

En s’élevant vers toi grandit à nosregards.

Comme au prêtre habitant l’ombre dusanctuaire,

Chaque pas te révèle à l’âmesolitaire :

Le silence et la nuit, et l’ombre desforêts,

Lui murmurent tout bas de sublimessecrets ;

Et l’esprit, abîmé dans ces raresspectacles,

Par la voix des déserts écoute tesoracles.

…………………………

J’ai vu de l’Océan les flots épouvantés,

Pareils aux fiers coursiers dans la plaineemportés,

Déroulant à ta voix leur humide crinière,

Franchir en bondissant leur bruyantebarrière,

Puis soudain, refoulés sous ton seintout-puissant,

Dans l’abîme étonné rentrer en mugissant.

J’ai vu le fleuve, épris des gazons durivage,

Se glisser flots à flots, de bocage enbocage,

Et dans son lit voilé d’ombrage et defraîcheur,

Bercer en murmurant la barque dupêcheur ;

J’ai vu le trait brisé de la foudre quigronde

Comme un serpent de feu se dérouler surl’onde ;

Le zéphir embaumé des doux parfums dumiel,

Balayer doucement l’azur voilé duciel ;

La colombe, essuyant son aile encorehumide,

Sur les bords de son nid poser un piedtimide,

Puis d’un vol cadencé fendant le flot desairs

S’abattre en soupirant sur la rive desmers.

J’ai vu ces monts voisins des cieux où tureposes,

Cette neige où l’aurore aime à semer sesroses,

Ces trésors des hivers, d’où par milledétours

Dans nos champs desséchés multipliant leurcours,

Cent rochers de cristal, que tu fonds àmesure,

Viennent désaltérer la mouranteverdure !

Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocssuspendus,

Et ces torrents grondant dans les granitsfendus,

Et ces pics où le temps a perdu savictoire…,

Et toute la nature est un hymne à tagloire !

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