Méditations poétiques

XXIII – PHILOSOPHIE.

AU MARQUIS DE LA MAISONFORT.

Oh ! qui m’emportera vers les tièdesrivages

Où l’Arno, couronné de ses pâles ombrages,

Aux murs de Médicis en sa course arrêté,

Réfléchit le palais par un sage habité,

Et semble, au bruit flatteur de son onde pluslente,

Murmurer les grands noms de Pétrarque et deDante ?

Ou plutôt que ne puis-je, au doux tomber dujour,

Quand, le front soulagé du fardeau de lacour,

Tu vas sous tes bosquets chercher tonÉgérie,

Suivre, en rêvant, tes pas de prairie enprairie,

Jusqu’au modeste toit par tes mainsembelli,

Où tu cours adorer le silence etl’oubli ?

J’adore aussi ces dieux : depuis que lasagesse

Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse,

Pour nourrir ma raison des seuls fruitsimmortels,

J’y cherche en soupirant l’ombre de leursautels,

Et s’il est au sommet de la verte colline,

S’il est sur le penchant du coteau quis’incline,

S’il est aux bords déserts du torrentignoré

Quelque rustique abri, de verdure entouré,

Dont le pampre arrondi sur le seuildomestique

Dessine en serpentant le flexibleportique ;

Semblable à la colombe errante sur leseaux,

Qui, des cèdres d’Arar découvrant lesrameaux,

Vola sur leur sommet poser ses pieds derose,

Soudain mon âme errante y vole et s’yrepose.

Aussi, pendant qu’admis dans les conseils desrois,

Représentant d’un maître, honoré par sonchoix,

Tu tiens un des grands fils de la trame dumonde,

Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords del’onde,

Je suis d’un œil rêveur les barques sur leseaux,

J’écoute les soupirs du vent dans lesroseaux ;

Nonchalamment couché près du lit desfontaines,

Je suis l’ombre qui tourne autour du tronc deschênes,

Ou je grave un vain nom sur l’écorce desbois,

Ou je parle à l’écho qui répond à ma voix,

Ou, dans le vague azur, contemplant lesnuages,

Je laisse errer comme eux mes flottantesimages.

La nuit tombe, et le Temps, de son doigtredouté,

Me marque un jour de plus que je n’ai pascompté.

Quelquefois seulement, quand mon âmeoppressée

Sent en rhythmes nombreux déborder mapensée,

Au souffle inspirateur du soir dans lesdéserts,

Ma lyre abandonnée exhale encor desvers !

J’aime à sentir ces fruits d’une sève plusmûre

Tomber, sans qu’on les cueille, au gré de lanature,

Comme le sauvageon, secoué par les vents,

Sur les gazons flétris, de ses rameauxmouvants

Laisse tomber ces fruits que la brancheabandonne,

Et qui meurent au pied de l’arbre qui lesdonne.

Il fut un temps peut-être où mes jours mieuxremplis,

Par la gloire éclairés, par l’amourembellis,

Et fuyant loin de moi sur des ailesrapides,

Dans la nuit du passé ne tombaient pas sivides.

Aux douteuses clartés de l’humaine raison,

Égaré dans les cieux sur les pas dePlaton,

Par ma propre vertu je cherchais àconnaître

Si l’âme est en effet un souffle du grandÊtre ;

Si ce rayon divin, dans l’argile enfermé,

Doit être par la mort éteint ourallumé ;

S’il doit après mille ans revivre sur laterre ;

Ou si, changeant sept fois de destins et desphère,

Et montant d’astre en astre à son centredivin,

D’un but qui fuit toujours il s’approche sansfin ;

Si dans ces changements nos souvenirssurvivent ;

Si nos soins, nos amours, si nos vertus noussuivent ;

S’il est un juge assis aux portes desenfers,

Qui sépare à jamais les justes despervers ?

S’il est de saintes lois qui, du cielémanées,

Des empires mortels prolongent les années,

Jettent un frein au peuple indocile à leurvoix,

Et placent l’équité sous la garde desrois ;

Ou si d’un dieu qui dort l’aveuglenonchalance

Laisse au gré du destin trébucher sabalance,

Et livre, en détournant ses yeuxindifférents,

La nature au hasard, et la terre auxtyrans.

Mais, ainsi que des cieux, où son vol sedéploie,

L’aigle souvent trompé redescend sans saproie,

Dans ces vastes hauteurs où mon œil s’estporté

Je n’ai rien découvert que doute etvanité ;

Et, las d’errer sans fin dans des champs sanslimite,

Au seul jour où je vis, au seul bord quej’habite,

J’ai borné désormais ma pensée et messoins :

Pourvu qu’un dieu caché fournisse à mesbesoins,

Pourvu que, dans les bras d’une épousechérie,

Je goûte obscurément les doux fruits de mavie ;

Que le rustique enclos par mes pèresplanté

Me donne un toit l’hiver, et de l’ombrel’été ;

Et que d’heureux enfants ma tablecouronnée

D’un convive de plus se peuple chaqueannée,

Ami, je n’irai plus ravir si loin de moi,

Dans les secrets de Dieu, ces comment, cespourquoi,

Ni du risible effort de mon faible génie

Aider péniblement la sagesse infinie.

Vivre est assez pour nous ; un plus sagel’a dit :

Le soin de chaque jour à chaque joursuffit.

Humble, et du saint des saints respectant lesmystères,

J’héritai l’innocence et le Dieu de mespères ;

En inclinant mon front, j’élève à lui mesbras ;

Car la terre l’adore et ne le comprendpas :

Semblable à l’alcyon, que la mer dorme ougronde,

Qui dans son nid flottant s’endort en paix surl’onde,

Me reposant sur Dieu du soin de me guider

À ce port invisible où tout doit aborder,

Je laisse mon esprit, libre d’inquiétude,

D’un facile bonheur faisant sa seuleétude,

Et prêtant sans orgueil la voile à tous lesvents,

Les yeux tournés vers lui, suivre le cours dutemps.

Toi qui, longtemps battu des vents et del’orage,

Jouissant aujourd’hui de ce ciel sansnuage,

Du sein de ton repos contemples du mêmeœil

Nos revers sans dédain, nos erreurs sansorgueil ;

Dont la raison facile, et chaste sansrudesse,

Des sages de ton temps n’a pris que lasagesse,

Et qui reçus d’en haut ce don mystérieux

De parler aux mortels dans la langue desdieux ;

De ces bords enchanteurs où ta voix meconvie,

Où s’écoule à flots purs l’automne de tavie,

Où les eaux et les fleurs, et l’ombre etl’amitié,

De tes jours nonchalants usurpent lamoitié,

Dans ces vers inégaux que ta museentrelace,

Dis-nous, comme autrefois nous l’aurait ditHorace,

Si l’homme doit combattre ou suivre sondestin ;

Si je me suis trompé de but ou dechemin ;

S’il est vers la sagesse une autre route àsuivre,

Et si l’art d’être heureux n’est pas toutl’art de vivre.

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