Méditations poétiques

XVII – L’APPARITION DE L’OMBRE DE SAMUELÀ SAÜL

Fragment dramatique

Saül, La Pythonisse d’Endor

Saül, seul.

Peut-être… Puisqu’enfin je puis leconsulter,

Le Ciel peut-être, est las de mepersécuter ?

À mes yeux dessillés la vérité valuire :

Mais au livre du sort, ô Dieu ! quevont-ils lire ?…

De ce livre fatal qui s’explique trop tôt,

Chaque jour, chaque instant, hélas !révèle un mot.

Pourquoi donc devancer le temps qui nousl’apporte ?

Pourquoi, dans cet abîme, avantl’heure… ? N’importe

C’est trop, c’est trop longtemps attendre dansla nuit

Les invisibles coups du bras qui mepoursuit !

J’aime mieux, déroulant la trameinfortunée,

Y lire ; d’un seul trait, toute madestinée !

(La Pythonisse d’Endor entre sur lascène.)

Est-ce toi qui, portant l’avenir dans tonsein,

Viens, au roi d’Israël, annoncer sondestin ?

La Pythonisse

C’est moi.

Saül

Qui donc es-tu ?

La Pythonisse

La voix du Dieu suprême.

Saül

Tremble de me tromper !

La Pythonisse

Saül, tremble toi-même !

Saül

Eh bien ! qu’apportes-tu ?

La Pythonisse

Ton arrêt !

Saül

Parle.

La Pythonisse

Ô ciel !

Pourquoi m’as-tu choisie entre toutIsraël ?

Mon cœur est faible, ô Ciel ! et mon sexeest timide.

Choisis, pour ton organe, un sein plusintrépide ;

Pour annoncer au roi tes divines fureurs,

Qui suis-je ?

Saül, étonné

Eh quoi ! tu trembles et tu verses despleurs !

Quoi ! ministre du Ciel, tu n’es plusqu’une femme !

La Pythonisse

Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans monâme !

Saül

Par tes feintes terreurs penses-tum’ébranler ?

La Pythonisse

Mais ma bouche, ô mon roi ! se refuse àparler.

Saül, avec colère

Tes lenteurs, à la fin, lassent mapatience :

Parle, si tu le peux, ou sors de maprésence !

La Pythonisse

Que ne puis-je sortir, emportant avec moi

Tout ce qu’ici je viens prophétiser surtoi ?

Mais un dieu me retient, me pousse, meramène ;

Je ne puis résister à son bras quim’entraîne.

Oui, je sens ta présence, ô dieupersécuteur !

Et ta fureur divine a passé dans mon cœur.

(Avec plus d’horreur.)

Mais quel rayon sanglant vient frapper mapaupière !

Mon œil épouvanté cherche et fuit lalumière !

Silence !… l’avenir ouvre ses noirssecrets !

Quel chaos de malheurs, de vertus, deforfaits !

Dans la confusion je les vois tousensemble !

Comment, comment saisir le fil qui lesrassemble !

Saül… Michol… David… MalheureuxJonathas !

Arrête ! arrête, ô roi ! nem’interroge pas.

Saül, tremblant

Que dis-tu de David, de Jonathas ?achève !

La Pythonisse, montrant une ombre dudoigt.

Que l’ombre se dissipe et le voile selève :

C’est lui !…

Saül

Qui donc ?

La Pythonisse

David !…

Saül

Eh bien ?

La Pythonisse

Il est vainqueur !

Quel triomphe ! Ô David ! qued’éclat t’environne !

Que vois-je sur ton front ?

Saül

Achève !

La Pythonisse

Une couronne !…

Saül

Perfide ! qu’as-tu dit ? lui, David,couronné ?

La Pythonisse, avec tristesse.

Hélas ! et tu péris, jeune hommeinfortuné !

Pour pleurer ton sort, belle et tendrevictime,

Les palmiers de Cadès ont incliné leurcime !…

Grâce ! grâce, ô mon Dieu ! détournetes fureurs !

Saül a bien assez de ses propresmalheurs !…

Mais la mort l’a frappé, sans pitié pour sescharmes,

Hélas ! et David même en a versé deslarmes !…

Saül

Silence ! c’est assez : j’en ai tropécouté.

La Pythonisse

Saül, pour tes forfaits ton fils estrejeté.

D’un prince condamné Dieu détourne saface,

D’un souffle de sa bouche il dissipe sarace :

Le sceptre est arraché !…

Saül, l’interrompant avec violence.

Tais-toi, dis-je, tais-toi !

La Pythonisse

Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort quemoi !

Le sceptre est arraché de tes mains sansdéfense ;

Le sceptre dans Juda passe avec tapuissance,

Et ces biens, par Dieu même, à ta racepromis,

Transportés à David, passent tous à sesfils.

Que David est brillant ! que son triompheest juste !

Qu’il sort de rejetons de cette tigeauguste !

Que vois-je ? un Dieu lui-même… ! Ôvierges du saint lieu !

Chantez, chantez David ! David enfante unDieu !…

Saül

Ton audace à la fin a comblé lamesure :

Va, tout respire en toi la fourbe etl’imposture.

Dieu m’a promis le trône, et Dieu ne trompepas.

La Pythonisse

Dieu promet ses fureurs à des princesingrats.

Saül

Crois-tu qu’impunément ta bouche icim’outrage ?

La Pythonisse

Crois-tu faire d’un Dieu varier lelangage ?

Saül

Sais-tu quel sort t’attend ?Sais-tu… ?

La Pythonisse

Ce que je sais,

C’est que ton propre bras va punir tesforfaits ;

Et qu’avant que des cieux le flambeau seretire,

Un Dieu justifiera tout ce qu’un Dieum’inspire.

Adieu ; malheureux père ! adieu,malheureux roi !

(Elle se retire, Saül la retient parforce.)

Saül

Non, non, perfide, arrête ! écoute, etréponds-moi.

C’est souffrir trop longtemps l’insolence etl’injure :

Je veux convaincre ici ta bouched’imposture.

Si le Ciel à tes yeux a su les révéler,

Quels sont donc ces forfaits dont tu m’osesparler ?

La Pythonisse

L’ombre les a couverts, l’ombre les couvreencore,

Saül ! Mais le Ciel voit ce que la terreignore.

Ne tente pas le Ciel.

Saül

Non : parle si tu sais.

La Pythonisse

L’ombre de Samuel te dira ces forfaits…

Saül

Samuel ! Samuel ? Eh quoi ! queveux-tu dire ?

La Pythonisse

Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas lelire ?

Saül

Eh bien, qu’a de commun ce Samuel etmoi ?

La Pythonisse

Qui plongea dans son sein ce fersanglant ?

Saül

Qui ?

La Pythonisse

Toi !

Saül, furieux et se précipitant sur elle avecsa lance.

Monstre, qu’a trop longtemps épargné maclémence,

Ton audace à la fin appelle mavengeance !

(Prêt à la frapper.)

Tiens ; va dire à ton Dieu, va dire àSamuel,

Comment Saül punit ton imposture…

(Au moment où il va frapper, il voitl’ombre de Samuel,

il laisse tomber la lance, il recule.)

Ô Ciel !

Ciel ! que vois-je ? C’esttoi ! c’est ton ombre sanglante !

Quel regard !… Son aspect m’a glacéd’épouvante !

Pardonne, ombre fatale ? oh !pardonne ! oui, c’est moi,

C’est moi qui t’ai porté tous ces coups que jevois !

Quoi ! depuis si longtemps !quoi ! ton sang coule encore !

Viens-tu pour le venger ?… Tiens…

(Il découvre sa poitrine et tombe àgenoux.)

Mais il s’évapore !…

(La Pythonisse disparaît pendant ces derniersmots.)

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