IV – LES ÉTOILES
À Mme de P***.
Il est pour la pensée une heure… une heuresainte,
Alors que, s’enfuyant de la célesteenceinte,
De l’absence du jour pour consoler lescieux,
Le crépuscule aux monts prolonge sesadieux.
On voit à l’horizon sa lueur incertaine,
Comme les bords flottants d’une robe quitraîne,
Balayer lentement le firmament obscur,
Où les astres ternis revivent dans l’azur.
Alors ces globes d’or, ces îles delumière,
Que cherche par instinct la rêveusepaupière,
Jaillissent par milliers de l’ombre quis’enfuit
Comme une poudre d’or sur les pas de lanuit ;
Et le souffle du soir qui vole sur satrace,
Les sème en tourbillons dans le brillantespace.
L’œil ébloui les cherche et les perd à lafois ;
Les uns semblent planer sur les cimes desbois,
Tel qu’un céleste oiseau dont les rapidesailes
Font jaillir en s’ouvrant des gerbesd’étincelles.
D’autres en flots brillants s’étendent dansles airs,
Comme un rocher blanchi de l’écume desmers ;
Ceux-là, comme un coursier volant dans lacarrière,
Déroulent à longs plis leur flottantecrinière ;
Ceux-ci, sur l’horizon se penchant à demi,
Semblent des yeux ouverts sur le mondeendormi,
Tandis qu’aux bords du ciel de légèresétoiles
Voguent dans cet azur comme de blanchesvoiles
Qui, revenant au port, d’un rivagelointain,
Brillent sur l’Océan aux rayons du matin.
De ces astres brillants, son plus sublimeouvrage,
Dieu seul connaît le nombre, et la distance,et l’âge ;
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nosyeux,
D’autres se sont perdus dans les routes descieux,
D’autres, comme des fleurs que son soufflecaresse,
Lèvent un front riant de grâce et dejeunesse,
Et, charmant l’Orient de leurs fraîchesclartés,
Étonnent tout à coup l’œil qui les acomptés.
Dans la danse céleste ils s’élancent… etl’homme,
Ainsi qu’un nouveau-né, les salue, et lesnomme.
Quel mortel enivré de leur chaste regard,
Laissant ses yeux flottants les fixer auhasard,
Et cherchant le plus pur parmi ce chœursuprême,
Ne l’a pas consacré du nom de ce qu’ilaime ?
Moi-même… il en est un, solitaire, isolé,
Qui, dans mes longues nuits, m’a souventconsolé,
Et dont l’éclat, voilé des ombres dumystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur laterre.
Peut-être ?… ah ! puisse-t-il aucéleste séjour
Porter au moins ce nom que lui donnal’Amour !
Cependant la nuit marche, et sur l’abîmeimmense
Tous ces mondes flottants gravitent ensilence,
Et nous-même, avec eux emportés dans leurcours
Vers un port inconnu nous avançonstoujours !
Souvent, pendant la nuit, au souffle duzéphire,
On sent la terre aussi flotter comme unnavire.
D’une écume brillante on voit les montscouverts
Fendre d’un cours égal le flot grondant desairs ;
Sur ces vagues d’azur où le globe se joue,
On entend l’aquilon se briser sous laproue,
Et du vent dans les mâts les tristessifflements,
Et de ses flancs battus les sourdsgémissements ;
Et l’homme sur l’abîme où sa demeureflotte
Vogue avec volupté sur la foi dupilote !
Soleils ! mondes flottants qui voguezavec nous,
Dites, s’il vous l’a dit, où donc allons-noustous ?
Quel est le port céleste où son souffle nousguide ?
Quel terme assigna-t-il à notre volrapide ?
Allons-nous sur des bords de silence et dedeuil,
Échouant dans la nuit sur quelque vasteécueil,
Semer l’immensité des débris dunaufrage ?
Ou, conduits par sa main sur un brillantrivage,
Et sur l’ancre éternelle à jamaisaffermis,
Dans un golfe du ciel aborderendormis ?
Vous qui nagez plus près de la célestevoûte,
Mondes étincelants, vous le savez sansdoute !
Cet Océan plus pur, ce ciel où vousflottez,
Laisse arriver à vous de plus vivesclartés ;
Plus brillantes que nous, vous savezdavantage ;
Car de la vérité la lumière estl’image !
Oui : si j’en crois l’éclat dont vosorbes errants
Argentent des forêts les dômestransparents,
Qui glissant tout à coup sur des mersirritées,
Calme en les éclairant les vaguesagitées ;
Si j’en crois ces rayons dont le sensiblejour
Inspire la vertu, la prière, l’amour,
Et quand l’œil attendri s’entrouvre à leurlumière,
Attirent une larme au bord de lapaupière ;
Si j’en crois ces instincts, ces douxpressentiments
Qui dirigent vers nous les soupirs desamants,
Les yeux de la beauté, les rêves qu’onregrette,
Et le vol enflammé de l’aigle et dupoète !
Tentes du ciel, Édens ! temples !brillants palais !
Vous êtes un séjour d’innocence et depaix !
Dans le calme des nuits, à travers ladistance,
Vous en versez sur nous la lointaineinfluence !
Tout ce que nous cherchons, l’amour, lavérité,
Ces fruits tombés du ciel dont la terre agoûté,
Dans vos brillants climats que le regardenvie
Nourrissent à jamais les enfants de lavie,
Et l’homme, un jour peut-être à ses destinsrendu,
Retrouvera chez vous tout ce qu’il aperdu ?
Hélas ! combien de fois seul, veillantsur ces cimes
Où notre âme plus libre a des vœux plussublimes,
Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lisest jaloux,
J’ai murmuré tout bas : Que ne suis-je unde vous ?
Que ne puis-je, échappant à ce globe deboue,
Dans la sphère éclatante où mon regard sejoue,
Jonchant d’un feu de plus le parvis du saintlieu,
Éclore tout à coup sous les pas de monDieu,
Ou briller sur le front de la beautésuprême,
Comme un pâle fleuron de son saintdiadème ?
Dans le limpide azur de ces flots decristal,
Me souvenant encor de mon globe natal,
Je viendrais chaque nuit, tardif etsolitaire,
Sur les monts que j’aimais briller près de laterre ;
J’aimerais à glisser sous la nuit desrameaux,
À dormir sur les prés, à flotter sur leseaux ;
À percer doucement le voile d’un nuage,
Comme un regard d’amour que la pudeurombrage :
Je visiterais l’homme ; et s’il estici-bas
Un front pensif, des yeux qui ne se fermentpas,
Une âme en deuil, un cœur qu’un poids sublimeoppresse,
Répandant devant Dieu sa pieusetristesse ;
Un malheureux au jour dérobant sesdouleurs
Et dans le sein des nuits laissant couler sespleurs,
Un génie inquiet, une active pensée
Par un instinct trop fort dans l’infinilancée ;
Mon rayon pénétré d’une sainte amitié
Pour des maux trop connus prodiguant sapitié,
Comme un secret d’amour versé dans un cœurtendre,
Sur ces fronts inclinés se plairait àdescendre !
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux
Dormirait sur leur sein, sourirait à leursyeux :
Je leur révélerais dans la langue divine
Un mot du grand secret que le malheurdevine ;
Je sécherais leurs pleurs ; et quandl’œil du matin
Ferait pâlir mon disque à l’horizonlointain,
Mon rayon en quittant leur paupièreattendrie
Leur laisserait encor la vague rêverie,
Et la paix et l’espoir ; et, lassés degémir,
Au moins avant l’aurore ils pourraients’endormir.
Et vous, brillantes sœurs ! étoiles, mescompagnes,
Qui du bleu firmament émaillez lescampagnes,
Et cadençant vos pas à la lyre des cieux,
Nouez et dénouez vos chœursharmonieux !
Introduit sur vos pas dans la célestechaîne,
Je suivrais dans l’azur l’instinct qui vousentraîne,
Vous guideriez mon œil dans ce brillantdésert,
Labyrinthe de feux où le regard seperd !
Vos rayons m’apprendraient à louer, àconnaître
Celui que nous cherchons, que vous voyezpeut-être !
Et noyant dans son sein mes tremblantesclartés,
Je sentirais en lui… tout ce que voussentez !