Méditations poétiques

XXII – LE GÉNIE.

À M. DE BONALD.

Impavidum ferientruinae.

Horat., od. V, lib. III.

Ainsi, quand parmi les tempêtes,

Au sommet brûlant du Sina,

Jadis le plus grand des prophètes

Gravait les tables de Juda ;

Pendant cet entretien sublime,

Un nuage couvrait la cime

Du mont inaccessible aux yeux ;

Et, tremblant aux coups du tonnerre,

Juda, couché dans la poussière,

Vit ses lois descendre des cieux.

Ainsi des sophistes célèbres

Dissipant les fausses clartés,

Tu tires du sein des ténèbres

D’éblouissantes vérités.

Ce voile, qui des lois premières

Couvrait les augustes mystères,

Se déchire et tombe à ta voix ;

Et tu suis ta route assurée

Jusqu’à cette source sacrée

Où le monde a puisé ses lois.

Assis sur la base immuable

De l’éternelle vérité,

Tu vois d’un œil inaltérable

Les phases de l’humanité.

Secoués de leurs gonds antiques,

Les empires, les républiques,

S’écroulent en débris épars :

Tu ris des terreurs où nous sommes ;

Partout où nous voyons les hommes,

Un Dieu se montre à tes regards !

En vain par quelque faux système

Un système faux est détruit ;

Par le désordre à l’ordre même,

L’univers moral est conduit.

Et comme autour d’un astre unique

La terre, dans sa route oblique,

Décrit sa route dans les airs,

Ainsi, par une loi plus belle,

Ainsi la justice éternelle

Est le pivot de l’univers.

Mais quoi ! tandis que le génie

Te ravit si loin de nos yeux,

Les lâches clameurs de l’envie

Te suivent jusque dans les cieux !

Crois-moi, dédaigne d’en descendre ;

Ne t’abaisse pas pour entendre

Ces bourdonnements détracteurs.

Poursuis ta sublime carrière,

Poursuis : le mépris du vulgaire

Est l’apanage des grands cœurs.

Objet de ses amours frivoles,

Ne l’as-tu pas vu tour à tour

Se forger de frêles idoles

Qu’il adore et brise en un jour ?

N’as-tu pas vu son inconstance

De l’héréditaire croyance

Éteindre les sacrés flambeaux,

Brûler ce qu’adoraient ses pères,

Et donner le nom de lumières

À l’épaisse nuit des tombeaux ?

Secouant ses antiques rênes,

Mais par d’autres tyrans flatté,

Tout meurtri du poids de ses chaînes,

L’entends-tu crier :Liberté ?

Dans ses sacrilèges caprices,

Le vois-tu, donnant à ses vices

Les noms de toutes les vertus ;

Traîner Socrate aux gémonies,

Pour faire en des temples impies

L’apothéose d’Anytus ?

Si, pour caresser sa faiblesse,

Sous tes pinceaux adulateurs

Tu parais du nom de sagesse

Les leçons de ses corrupteurs,

Tu verrais ses mains avilies,

Arrachant des palmes flétries

De quelque front déshonoré,

Les répandre sur ton passage,

Et, changeant la gloire en outrage,

T’offrir un triomphe abhorré.

Mais, loin d’abandonner la lice

Où ta jeunesse a combattu,

Tu sais que l’estime du vice

Est un outrage à la vertu.

Tu t’honores de tant de haine ;

Tu plains ces faibles cœurs qu’entraîne

Le cours de leur siècle égaré ;

Et, seul contre le flot rapide,

Tu marches d’un pas intrépide

Au but que la gloire a montré !

Tel un torrent, fils de l’orage,

En roulant du sommet des monts,

S’il rencontre sur son passage

Un chêne, l’orgueil des vallons,

Il s’irrite, il écume, il gronde,

Il presse des plis de son onde

L’arbre vainement menacé :

Mais debout parmi les ruines,

Le chêne aux profondes racines

Demeure ; et le fleuve a passé.

Toi donc, des mépris de ton âge

Sans être jamais rebuté,

Retrempe ton mâle courage

Dans les flots de l’adversité !

Pour cette lutte qui s’achève,

Que la vérité soit ton glaive,

La justice ton bouclier.

Va, dédaigne d’autres armures ;

Et si tu reçois des blessures,

Nous les couvrirons de laurier !

Vois-tu dans la carrière antique,

Autour des coursiers et des chars,

Jaillir la poussière olympique

Qui les dérobe à nos regards ?

Dans sa course ainsi le génie

Par les nuages de l’envie

Marche longtemps environné ;

Mais au terme de la carrière,

Des flots de l’indigne poussière

Il sort vainqueur et couronné.

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