Commentaire.
Il y a des heures où la sensation de ladouleur est si forte dans l’homme jeune et sensible, qu’elleétouffe la raison. Il faut lui permettre alors le cri et presquel’imprécation contre la destinée ! L’excessive douleur a sondélire, comme l’amour. Passion veut dire souffrance, et souffranceveut dire passion. Je souffrais trop ; il fallait crier.
J’étais jeune, et les routes de la vie sefermaient devant moi comme si j’avais été un vieillard. J’étaisdévoré d’activité intérieure, et on me condamnait àl’immobilité ; j’étais ivre d’amour, et j’étais séparé de ceque j’adorais ; les tortures de mon cœur étaient multipliéespar celles d’un autre cœur. Je souffrais comme deux, et je n’avaisque la force d’un ? J’étais enfermé, par les suites de mesdissipations et par l’indigence, dans une retraite forcée à lacampagne, loin de tout ce que j’aimais ; j’étais malade decœur, de corps, d’imagination ; je n’avais pour toute sociétéque les buis chargés de givre de la montagne en face de ma fenêtre,et les vieux livres d’histoire, cent fois relus, écrits avec leslarmes des générations qu’ils racontent, et avec le sang des hommesvertueux que ces générations immolent en récompense de leursvertus. Une nuit, je me levai, je rallumai ma lampe, et j’écrivisce gémissement ou plutôt ce rugissement de mon âme. Ce cri mesoulagea : je me rendormis. Après, il me sembla que je m’étaisvengé du destin par un coup de poignard.
Il y avait bien d’autres strophes plusacerbes, plus insultantes, plus impies. Quand je retrouvai cetteméditation, et que je me résolus à l’imprimer, je retranchai cesstrophes. L’invective y montait jusqu’au sacrilège. C’étaitbyronien ; mais c’était Byron sincère, et non joué.