Méditations poétiques

V – L’IMMORTALITÉ.

Le soleil de nos jours pâlit dès sonaurore ;

Sur nos fronts languissants à peine il jetteencore

Quelques rayons tremblants qui combattent lanuit :

L’ombre croît, le jour meurt, tout s’efface ettout fuit.

Qu’un autre à cet aspect frissonne ets’attendrisse,

Qu’il recule en tremblant des bords duprécipice,

Qu’il ne puisse de loin entendre sansfrémir

Le triste chant des morts tout prêt àretentir,

Les soupirs étouffés d’une amante ou d’unfrère

Suspendus sur les bords de son litfunéraire,

Ou l’airain gémissant, dont les sonséperdus

Annoncent aux mortels qu’un malheureux n’estplus !

Je te salue, ô mort ! Libérateurcéleste,

Tu ne m’apparais point sous cet aspectfuneste

Que t’a prêté longtemps l’épouvante oul’erreur ;

Ton bras n’est point armé d’un glaivedestructeur,

Ton front n’est point cruel, ton œil n’estpoint perfide ;

Au secours des douleurs un Dieu clément teguide ;

Tu n’anéantis pas, tu délivres : tamain,

Céleste messager, porte un flambeaudivin :

Quand mon œil fatigué se ferme à lalumière,

Tu viens d’un jour plus pur inonder mapaupière ;

Et l’espoir près de toi, rêvant sur untombeau,

Appuyé sur la foi, m’ouvre un monde plusbeau.

Viens donc, viens détacher mes chaînescorporelles !

Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moites ailes !

Que tardes-tu ? Parais ; que jem’élance enfin

Vers cet être inconnu, mon principe et mafin.

Qui m’en a détaché ? Qui suis-je et quedois-je être ?

Je meurs, et ne sais pas ce que c’est que denaître.

Toi qu’en vain j’interroge, esprit, hôteinconnu,

Avant de m’animer, quel cielhabitais-tu ?

Quel pouvoir t’a jeté sur ce globefragile ?

Quelle main t’enferma dans ta prisond’argile ?

Par quels nœuds étonnants, par quels secretsrapports

Le corps tient-il à toi comme tu tiens aucorps ?

Quel jour séparera l’âme de lamatière ?

Pour quel nouveau palais quitteras-tu laterre ?

As-tu tout oublié ? Par delà letombeau,

Vas-tu renaître encor dans un oublinouveau ?

Vas-tu recommencer une semblablevie ?

Ou dans le sein de Dieu, ta source et tapatrie,

Affranchi pour jamais de tes liensmortels,

Vas-tu jouir enfin de tes droitséternels ?

Oui, tel est mon espoir, ô moitié de mavie !

C’est par lui que déjà mon âme raffermie

A pu voir sans effroi sur tes traitsenchanteurs

Se faner du printemps les brillantescouleurs ;

C’est par lui que, percé du trait qui medéchire,

Jeune encore, en mourant vous me verrezsourire,

Et que des pleurs de joie, à nos derniersadieux,

À ton dernier regard brilleront dans mesyeux.

« Vain espoir ! » s’écriera letroupeau d’Épicure,

Et celui dont la main disséquant lanature,

Dans un coin du cerveau nouvellementdécrit,

Voit penser la matière et végéterl’esprit.

« Insensé, diront-ils, que trop d’orgueilabuse,

Regarde autour de toi : tout commence ettout s’use ;

Tout marche vers un terme et tout naît pourmourir :

Dans ces prés jaunissants tu vois la fleurlanguir,

Tu vois dans ces forêts le cèdre au frontsuperbe

Sous le poids de ses ans tomber, ramper sousl’herbe ;

Dans leurs lits desséchés tu vois les merstarir ;

Les cieux même, les cieux commencent àpâlir ;

Cet astre dont le temps a caché lanaissance,

Le soleil, comme nous, marche à sadécadence,

Et dans les cieux déserts les mortelséperdus

Le chercheront un jour et ne le verrontplus !

Tu vois autour de toi dans la natureentière

Les siècles entasser poussière surpoussière,

Et le temps, d’un seul pas confondant tonorgueil,

De tout ce qu’il produit devenir lecercueil.

Et l’homme, et l’homme seul, ô sublimefolie !

Au fond de son tombeau croit retrouver lavie,

Et dans le tourbillon au néant emporté,

Abattu par le temps, rêvel’éternité ! »

Qu’un autre vous réponde, ô sages de laterre !

Laissez-moi mon erreur : j’aime, il fautque j’espère ;

Notre faible raison se trouble et seconfond.

Oui, la raison se tait ; mais l’instinctvous répond.

Pour moi, quand je verrais dans les célestesplaines

Les astres, s’écartant de leurs routescertaines,

Dans les champs de l’éther l’un par l’autreheurtés,

Parcourir au hasard les cieuxépouvantés ;

Quand j’entendrais gémir et se briser laterre ;

Quand je verrais son globe errant etsolitaire,

Flottant loin des soleils, pleurant l’hommedétruit,

Se perdre dans les champs de l’éternellenuit ;

Et quand, dernier témoin de ces scènesfunèbres,

Entouré du chaos, de la mort, desténèbres,

Seul je serais debout : seul, malgré moneffroi,

Être infaillible et bon, j’espérerais entoi ;

Et, certain du retour de l’éternelleaurore,

Sur les mondes détruits, je t’attendraisencore !

Souvent, tu t’en souviens, dans cet heureuxséjour

Où naquit d’un regard notre immortelamour,

Tantôt sur les sommets de ces rochersantiques,

Tantôt aux bords déserts des lacsmélancoliques,

Sur l’aile du désir, loin du mondeemportés,

Je plongeais avec toi dans ces obscurités.

Les ombres, à longs plis descendant desmontagnes,

Un moment à nos yeux dérobaient lescampagnes ;

Mais bientôt, s’avançant sans éclat et sansbruit,

Le chœur mystérieux des astres de la nuit,

Nous rendant les objets voilés à notrevue,

De ses molles lueurs revêtait l’étendue.

Telle, en nos temples saints, par le jouréclairés,

Quand les rayons du soir pâlissent pardegrés,

La lampe, répandant sa pieuse lumière,

D’un jour plus recueilli remplit lesanctuaire.

Dans ton ivresse alors tu ramenais mesyeux

Et des cieux à la terre, et de la terre auxcieux :

« Dieu caché, disais-tu, la nature estton temple !

L’esprit te voit partout quand notre œil lacontemple ;

De tes perfections, qu’il cherche àconcevoir,

Ce monde est le reflet, l’image, lemiroir ;

Le jour est ton regard, la beauté tonsourire ;

Partout le cœur t’adore et l’âme terespire ;

Éternel, infini, tout-puissant et toutbon,

Ces vastes attributs n’achèvent pas tonnom ;

Et l’esprit, accablé sous ta sublimeessence,

Célèbre ta grandeur jusque dans sonsilence.

Et cependant, ô Dieu ! par sa sublimeloi,

Cet esprit abattu s’élance encore à toi,

Et, sentant que l’amour est la fin de sonêtre,

Impatient d’aimer, brûle de teconnaître. »

Tu disais ; et nos cœurs unissaient leurssoupirs

Vers cet être inconnu qu’attestaient nosdésirs :

À genoux devant lui, l’aimant dans sesouvrages,

Et l’aurore et le soir lui portaient noshommages,

Et nos yeux enivrés contemplaient tour àtour

La terre notre exil, et le ciel sonséjour.

Ah ! si dans ces instants où l’âmefugitive

S’élance et veut briser le sein qui lacaptive,

Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nosvœux,

D’un trait libérateur nous eût frappés tousdeux ;

Nos âmes, d’un seul bond remontant vers leursource,

Ensemble auraient franchi les mondes dans leurcourse ;

À travers l’infini, sur l’aile de l’amour,

Elles auraient monté comme un rayon dujour,

Et, jusqu’à Dieu lui-même arrivantéperdues,

Se seraient dans son sein pour jamaisconfondues !

Ces vœux nous trompaient-ils ? Au néantdestinés,

Est-ce pour le néant que les êtres sontnés ?

Partageant le destin du corps qui larecèle,

Dans la nuit du tombeau l’âmes’engloutit-elle ?

Tombe-t-elle en poussière ? ou, prête às’envoler,

Comme un son qui n’est plus va-t-elles’exhaler ?

Après un vain soupir, après l’adieusuprême

De tout ce qui t’aimait, n’est-il plus rienqui t’aime ?…

Ah ! sur ce grand secret n’interroge quetoi !

Vois mourir ce qui t’aime, Elvire, etréponds-moi !

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