Méditations poétiques

III – À ELVIRE

Oui, l’Anio murmure encore

Le doux nom de Cynthie aux rochers deTibur ;

Vaucluse a retenu le nom chéri deLaure ;

Et Ferrare au siècle futur

Murmurera toujours celui d’Éléonore.

Heureuse la beauté que le poëteadore !

Heureux le nom qu’il a chanté !

Toi qu’en secret son culte honore,

Tu peux, tu peux mourir ! dans lapostérité

Il lègue à ce qu’il aime une éternellevie ;

Et l’amante et l’amant, sur l’aile dugénie,

Montent d’un vol égal à l’immortalité.

Ah ! si mon frêle esquif, battu par latempête,

Grâce à des vents plus doux, pouvait surgir auport ;

Si des soleils plus beaux se levaient sur matête ;

Si les pleurs d’une amante, attendrissant lesort,

Écartaient de mon front les ombres de lamort :

Peut-être…, oui, pardonne, ô maître de lalyre !

Peut-être j’oserais (et que n’ose unamant ?)

Égaler mon audace à l’amour qui m’inspire,

Et, dans des chants rivaux célébrant mondélire,

De notre amour aussi laisser unmonument !

Ainsi le voyageur qui, dans son courtpassage,

Se repose un moment à l’abri du vallon,

Sur l’arbre hospitalier dont il goûtal’ombrage,

Avant que de partir, aime à graver sonnom.

Vois-tu comme tout change ou meurt dans lanature ?

La terre perd ses fruits, les forêts leurparure ;

Le fleuve perd son onde au vaste sein desmers ;

Par un souffle des vents la prairie estfanée ;

Et le char de l’automne au penchant del’année

Roule, déjà poussé par la main deshivers !

Comme un géant armé d’un glaiveinévitable,

Atteignant au hasard tous les êtresdivers,

Le Temps avec la Mort, d’un volinfatigable,

Renouvelle en fuyant ce mobileunivers !

Dans l’éternel oubli tombe ce qu’ilmoissonne :

Tel un rapide été voit tomber sa couronne

Dans la corbeille des glaneurs ;

Tel un pampre jauni voit la fécondeautomne

Livrer ses fruits dorés au char desvendangeurs.

Vous tomberez ainsi, courtes fleurs de lavie,

Jeunesse, amour, plaisir, fugitivebeauté ;

Beauté, présent d’un jour que le ciel nousenvie,

Ainsi vous tomberez, si la main du génie

Ne vous rend l’immortalité !

Vois d’un œil de pitié la vulgairejeunesse,

Brillante de beauté, s’enivrant deplaisir :

Quand elle aura tari sa coupeenchanteresse,

Que restera-t-il d’elle ? à peine unsouvenir :

Le tombeau qui l’attend l’engloutit toutentière,

Un silence éternel succède à sesamours ;

Mais les siècles auront passé sur tapoussière,

Elvire, et tu vivras toujours !

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