Méditations poétiques

XV – LA GLOIRE.

À UN POËTE EXILÉ.

Généreux favoris des filles de Mémoire,

Deux sentiers différents devant vous vonts’ouvrir :

L’un conduit au bonheur, l’autre mène à lagloire ;

Mortels, il faut choisir.

Ton sort, ô Manoël, suivit la loicommune ;

La muse t’enivra de précoces faveurs,

Tes jours furent tissus de gloire etd’infortune,

Et tu verses des pleurs !

Rougis plutôt, rougis d’envier au vulgaire

Le stérile repos dont son cœur estjaloux :

Les dieux ont fait pour lui tous les biens dela terre

Mais la lyre est à nous.

Les siècles sont à toi, le monde est tapatrie.

Quand nous ne sommes plus, notre ombre a desautels

Où le juste avenir prépare à ton génie

Des honneurs immortels.

Ainsi l’aigle superbe au séjour dutonnerre

S’élance, et, soutenant son vol audacieux,

Semble dire aux mortels : « Je suisné sur la terre,

Mais je vis dans les cieux. »

Oui, la gloire t’attend ; mais arrête, etcontemple

À quel prix on pénètre en ses parvissacrés ;

Vois : l’Infortune, assise à la porte dutemple,

En garde les degrés.

Ici c’est un vieillard que l’ingrate Ionie

A vu de mers en mers promener sesmalheurs :

Aveugle, il mendiait au prix de son génie

Un pain mouillé de pleurs.

Là le Tasse, brûlé d’une flamme fatale,

Expiant dans les fers sa gloire et sonamour,

Quand il va recueillir la palmetriomphale,

Descend au noir séjour.

Partout des malheureux, des proscrits, desvictimes,

Luttant contre le sort ou contre lesbourreaux :

On dirait que le ciel aux cœurs plusmagnanimes

Mesure plus de maux.

Impose donc silence aux plaintes de talyre :

Des cœurs nés sans vertu l’infortune estl’écueil ;

Mais toi, roi détrôné, que ton malheurt’inspire

Un généreux orgueil !

Que t’importe, après tout, que cet ordrebarbare

T’enchaîne loin des bords qui furent tonberceau ?

Que t’importe en quels lieux le destin teprépare

Un glorieux tombeau ?

Ni l’exil, ni les fers de ces tyrans duTage

N’enchaîneront ta gloire aux bords où tumourras :

Lisbonne la réclame, et voilà l’héritage

Que tu lui laisseras !

Ceux qui l’ont méconnu pleureront le grandhomme ;

Athènes à des proscrits ouvre sonPanthéon ;

Coriolan expire, et les enfants de Rome

Revendiquent son nom.

Aux rivages des morts avant que dedescendre,

Ovide lève au ciel ses suppliantesmains :

Aux Sarmates grossiers il a légué sacendre,

Et sa gloire aux Romains.

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