Méditations poétiques

XIII – LE POÈTE MOURANT

La coupe de mes jours s’est brisée encorpleine ;

Ma vie hors de mon sein s’enfuit à chaquehaleine ;

Ni baisers ni soupirs ne peuventl’arrêter ;

Et l’aile de la mort, sur l’airain qui mepleure,

En sons entrecoupés frappe ma dernièreheure ;

Faut-il gémir ? faut-ilchanter ?…

Chantons, puisque mes doigts sont encor sur lalyre ;

Chantons, puisque la mort, comme au cygne,m’inspire

Aux bords d’un autre monde un crimélodieux.

C’est un présage heureux donné par mongénie,

Si notre âme n’est rien qu’amour etharmonie,

Qu’un chant divin soit ses adieux !

La lyre en se brisant jette un son plussublime ;

La lampe qui s’éteint tout à coup seranime,

Et d’un éclat plus pur brille avantd’expirer ;

Le cygne voit le ciel à son heuredernière,

L’homme seul, reportant ses regards enarrière,

Compte ses jours pour les pleurer.

Qu’est-ce donc que des jours pour valoir qu’onles pleure ?

Un soleil, un soleil ; une heure, et puisune heure ;

Ce qu’une nous apporte, une autre nousl’enlève :

Travail, repos, douleur, et quelquefois unrêve,

Voilà le jour, puis vient la nuit.

Ah ! qu’il pleure, celui dont les mainsacharnées

S’attachant comme un lierre aux débris desannées,

Voit avec l’avenir s’écrouler sonespoir !

Pour moi, qui n’ai point pris racine sur laterre,

Je m’en vais sans effort, comme l’herbelégère

Qu’enlève le souffle du soir.

Le poète est semblable aux oiseaux depassage

Qui ne bâtissent point leurs nids sur lerivage,

Qui ne se posent point sur les rameaux desbois ;

Nonchalamment bercés sur le courant del’onde,

Ils passent en chantant loin des bords ;et le monde

Ne connaît rien d’eux, que leur voix.

Jamais aucune main sur la corde sonore

Ne guida dans ses jeux sa main noviceencore.

L’homme n’enseigne pas ce qu’inspire leciel ;

Le ruisseau n’apprend pas à couler dans sapente,

L’aigle à fendre les airs d’une aileindépendante,

L’abeille à composer son miel.

L’airain retentissant dans sa hautedemeure,

Sous le marteau sacré tour à tour chante etpleure,

Pour célébrer l’hymen, la naissance ou lamort ;

J’étais comme ce bronze épuré par laflamme,

Et chaque passion, en frappant sur monâme,

En tirait un sublime accord.

Telle durant la nuit la harpe éolienne,

Mêlant aux bruits des eaux sa plainteaérienne,

Résonne d’elle-même au souffle deszéphyrs.

Le voyageur s’arrête, étonné del’entendre,

Il écoute, il admire et ne sauraitcomprendre

D’où partent ces divins soupirs.

Ma harpe fut souvent de larmes arrosée,

Mais les pleurs sont pour nous la célesterosée ;

Sous un ciel toujours pur le cœur ne mûritpas :

Dans la coupe écrasé le jus du pamprecoule,

Et le baume flétri sous le pied qui lefoule

Répand ses parfums sur nos pas.

Dieu d’un souffle brûlant avait formé monâme,

Tout ce qu’elle approchait s’embrasait de saflamme :

Don fatal ! et je meurs pour avoir tropaimé !

Tout ce que j’ai touché s’est réduit enpoussière :

Ainsi le feu du ciel tombé sur la bruyère

S’éteint quand tout est consumé.

Mais le temps ?–Il n’est plus.–Mais lagloire ?–Eh ! qu’importe

Cet écho d’un vain son, qu’un siècle à l’autreapporte ?

Ce nom, brillant jouet de lapostérité ?

Vous qui de l’avenir lui promettezl’empire,

Écoutez cet accord que va rendre malyre !…

…………………………

Les vents l’ont déjà emporté !

Ah ! donnez à la mort un espoir moinsfrivole.

Eh quoi ! le souvenir de ce son quis’envole

Autour d’un vain tombeau retentiraittoujours ?

Ce souffle d’un mourant, quoi ! c’est làde la gloire ?

Mais vous qui promettez les temps à samémoire,

Mortels, possédez-vous deux jours ?

J’en atteste les dieux ! depuis que jerespire,

Mes lèvres n’ont jamais prononcé sanssourire

Ce grand nom inventé par le délirehumain ;

Plus j’ai pressé ce mot, plus je l’ai trouvévide,

Et je l’ai rejeté, comme une écorce aride

Que nos lèvres pressent en vain.

Dans le stérile espoir d’une gloireincertaine,

L’homme livre, en passant, au courant quil’entraîne

Un nom de jour en jour dans sa courseaffaibli ;

De ce brillant débris le flot du temps sejoue ;

De siècle en siècle, il flotte, il avance, iléchoue

Dans les abîmes de l’oubli.

Je jette un nom de plus à ces flots sansrivage ;

Au gré des vents, du ciel, qu’il s’abîme ousurnage,

En serai-je plus grand ? Pourquoi ?ce n’est qu’un nom.

Le cygne qui s’envole aux voûteséternelles,

Amis ! s’informe-t-il si l’ombre de sesailes

Flotte encor sur un vil gazon ?

Mais pourquoi chantais-tu ?–Demande àPhilomèle

Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix semêle

Au doux bruit des ruisseaux sous l’ombrageroulant !

Je chantais, mes amis, comme l’hommerespire,

Comme l’oiseau gémit, comme le ventsoupire,

Comme l’eau murmure en coulant.

Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie.

Mortels ! de tous ces biens qu’ici-basl’homme envie,

À l’heure des adieux je ne regretterien ;

Rien que l’ardent soupir qui vers le ciels’élance,

L’extase de la lyre, ou l’amoureux silence

D’un cœur pressé contre le mien.

Aux pieds de la beauté sentir frémir salyre,

Voir d’accord en accord l’harmonieuxdélire

Couler avec le son et passer dans sonsein,

Faire pleuvoir les pleurs de ces yeux qu’onadore,

Comme au souffle des vents les larmes del’aurore

Tombent d’un calice trop plein ;

Voir le regard plaintif de la viergemodeste

Se tourner tristement vers la voûtecéleste,

Comme pour s’envoler avec le son qui fuit,

Puis retombant sur vous plein d’une chasteflamme,

Sous ses cils abaissés laisser briller sonâme,

Comme un feu tremblant dans la nuit ;

Voir passer sur son front l’ombre de lapensée,

La parole manquer à sa bouche oppressée,

Et de ce long silence entendre enfinsortir

Ce mot qui retentit jusque dans le cielmême,

Ce mot, le mot des dieux, et des hommes :… Je t’aime !

Voilà ce qui vaut un soupir.

Un soupir ! un regret ! inutileparole !

Sur l’aile de la mort, mon âme au ciels’envole ;

Je vais où leur instinct emporte nosdésirs ;

Je vais où le regard voit brillerl’espérance ;

Je vais où va le son qui de mon luths’élance ;

Où sont allés tous mes soupirs !

Comme l’oiseau qui voit dans les ombresfunèbres,

La foi, cet œil de l’âme, a percé mesténèbres ;

Son prophétique instinct m’a révélé monsort.

Aux champs de l’avenir combien de fois monâme,

S’élançant jusqu’au ciel sur des ailes deflamme,

A-t-elle devancé la mort ?

N’inscrivez point de nom sur ma demeuresombre.

Du poids d’un monument ne chargez pas monombre :

D’un peu de sable, hélas ! je ne suispoint jaloux.

Laissez-moi seulement à peine assezd’espace

Pour que le malheureux qui sur ma tombepasse

Puisse y poser ses deux genoux.

Souvent dans le secret de l’ombre et dusilence,

Du gazon d’un cercueil la prière s’élance

Et trouve l’espérance à côté de la mort.

Le pied sur une tombe on tient moins à laterre ;

L’horizon est plus vaste, l’âme pluslégère,

Monte au ciel avec moins d’effort.

Brisez, livrez aux vents, aux ondes, à laflamme,

Ce luth qui n’a qu’un son pour répondre à monâme !

Le luth des Séraphins va frémir sous mesdoigts.

Bientôt, vivant comme eux d’un immorteldélire,

Je vais guider, peut-être, aux accords de malyre,

Des cieux suspendus à ma voix.

Bientôt !… Mais de la mort la main lourdeet muette

Vient de toucher la corde : elle sebrise, et jette

Un son plaintif et sourd dans la vague desairs.

Mon luth glacé se tait… Amis, prenez levôtre ;

Et que mon âme encor passe d’un monde àl’autre

Au bruit de vos sacrés concerts !

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