Méditations poétiques

XVII – LA NAISSANCE DU DUC DEBORDEAUX.

ODE

Versez du sang, frappez encore !

Plus vous retranchez ses rameaux,

Plus le tronc sacré voit éclore

Ses rejetons toujours nouveaux !

Est-ce un dieu qui trompe le crime ?

Toujours d’une auguste victime

Le sang est fertile en vengeur ;

Toujours, échappé d’Athalie,

Quelque enfant que le fer oublie

Grandit à l’ombre du Seigneur !

Il est né, l’enfant du miracle,

Héritier du sang d’un martyr !

Il est né d’un tardif oracle,

Il est né d’un dernier soupir !

Aux accents du bronze qui tonne

La France s’éveille et s’étonne

Du fruit que la mort a porté !

Jeux du sort, merveilles divines !

Ainsi fleurit sur des ruines

Un lis que l’orage a planté.

Il vient, quand les peuples, victimes

Du sommeil de leurs conducteurs,

Errent aux penchants des abîmes

Comme des troupeaux sans pasteurs.

Entre un passé qui s’évapore,

Vers un avenir qu’il ignore,

L’homme nage dans un chaos !

Le doute égare sa boussole,

Le monde attend une parole,

La terre a besoin d’un héros !

Courage ! c’est ainsi qu’ilsnaissent !

C’est ainsi que dans sa bonté

Un Dieu les sème ! ils apparaissent

Sur des jours de stérilité !

Ainsi, dans une sainte attente,

Quand des pasteurs la troupe errante

Parlait d’un Moïse nouveau,

De la nuit déchirant le voile,

Une mystérieuse étoile

Les conduisit vers un berceau !

Sacré berceau, frêle espérance

Qu’une mère tient dans ses bras,

Déjà tu rassures la France :

Les miracles ne trompent pas !

Confiante dans son délire,

À ce berceau déjà ma lyre

Ouvre un avenir triomphant,

Et, comme ces rois de l’Aurore,

Un instinct que mon âme ignore

Me fait adorer un enfant !

Comme l’orphelin de Pergame,

Il verra près de son berceau

Un roi, des princes, une femme,

Pleurer aussi sur un tombeau !

Bercé sur le sein de sa mère,

S’il vient à demander son père,

Il verra se baisser les yeux !

Et cette veuve inconsolée,

En lui cachant le mausolée,

Du doigt lui montrera les cieux.

Jeté sur le déclin des âges,

Il verra l’empire sans fin,

Sorti de glorieux orages,

Frémir encor de son déclin.

Mais son glaive aux champs de victoire

Nous rappellera la mémoire

Des destins promis à Clovis,

Tant que le tronçon d’une épée,

D’un rayon de gloire frappée,

Brillerait aux mains de ses fils !

Sourd aux leçons efféminées

Dont le siècle aime à les nourrir,

Il saura que les destinées

Font roi pour régner ou mourir ;

Que des vieux héros de sa race

Le premier titre fut l’audace,

Et le premier trône un pavois ;

Et qu’en vain l’humanité crie :

Le sang versé pour la patrie

Est toujours la pourpre des rois !

Tremblant à la voix de l’histoire,

Ce juge vivant des humains,

Français, il saura que la gloire

Tient deux flambeaux entre ses mains.

L’un, d’une sanglante lumière

Sillonne l’horrible carrière

Des peuples par le crime heureux ;

Semblable aux torches des Furies

Que jadis les fameux impies

Sur leurs pas traînaient après eux.

L’autre, du sombre oubli des âges,

Tombeau des peuples et des rois,

Ne sauve que les siècles sages

Et les légitimes exploits :

Ses clartés immenses et pures,

Traversant les races futures,

Vont s’unir au jour éternel ;

Pareil à ces feux pacifiques,

Ô Vesta, que des mains pudiques

Entretenaient sur ton autel.

Il saura qu’aux jours où nous sommes,

Pour vieillir au trône des rois,

Il faut montrer aux yeux des hommes

Ses vertus auprès de ses droits ;

Qu’assis à ce degré suprême,

Il faut s’y défendre soi-même,

Comme les dieux sur leurs autels,

Rappeler en tout leur image,

Et faire adorer le nuage

Qui les sépare des mortels.

Au pied du trône séculaire

Où s’assied un autre Nestor,

De la tempête populaire

Le flot calmé murmure encor !

Ce juste, que le ciel contemple,

Lui montrera par son exemple

Comment, sur les écueils jeté,

On élève sur le rivage,

Avec les débris du naufrage,

Un temple à l’immortalité !

Ainsi s’expliquaient sur ma lyre

Les destins présents à mes yeux ;

Et tout secondait mon délire,

Et sur la terre, et dans les cieux !

Le doux regard de l’Espérance

Éclairait le deuil de la France,

Comme, après une longue nuit,

Sortant d’un berceau de ténèbres,

L’aube efface les pas funèbres

De l’ombre obscure qui s’enfuit.

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