Méditations poétiques

XIV – L’ANGE

Fragment épique

Dieu se lève ; et soudain sa voixterrible appelle

De ses ordres secrets un ministre fidèle,

Un de ces esprits purs qui sont chargés parlui

De servir aux humains de conseil etd’appui,

De lui porter leurs vœux sur leurs ailes deflamme,

De veiller sur leur vie, et de garder leurâme ;

Tout mortel a le sien : cet angeprotecteur,

Cet invisible ami veille autour de soncœur,

L’inspire, le conduit, le relève s’iltombe,

Et, portant dans les cieux son âme entre sesmains,

La présente en tremblant au juge deshumains :

C’est ainsi qu’entre l’homme et Jéhovahlui-même,

Entre le pur néant et la grandeur suprême,

D’êtres inaperçus une chaîne sans fin

Réunit l’homme à l’ange et l’ange auséraphin ;

C’est ainsi que, peuplant l’étendueinfinie,

Dieu répandit partout l’esprit, l’âme et lavie !

Au son de cette voix, qui fait trembler leciel,

S’élance devant Dieu l’archangeIthuriel :

C’est lui qui du héros est le célesteguide

Et qui pendant sa vie à ses destinspréside :

Sur les marches du trône, où de la Trinité

Brille au plus haut des cieux la triplemajesté,

L’esprit, épouvanté de la splendeurdivine,

Dans un saint tremblement soudain monte ets’incline,

Et du voile éclatant de ses deux ailesd’or

Du céleste regard s’ombrage, et trembleencor !

Mais Dieu, voilant pour lui sa clartédévorante,

Modère les accents de sa voix éclatante,

Se penche sur son trône et lui parle :soudain

Tout le ciel, attentif au Verbe souverain,

Suspend les chants sacrés, et la courimmortelle

S’apprête à recueillir la paroleéternelle.

Pour la première fois, sous la voûte descieux,

Cessa des chérubins le chœurharmonieux :

On n’entendit alors dans les saintesdemeures

Que le bruit cadencé du char léger desheures

Qui, des jours éternels mesurant l’heureuxcours,

Dans un cercle sans fin, fuit et revienttoujours ;

On n’entendit alors que la sourde harmonie

Des sphères poursuivant leur courseindéfinie,

Et des astres pieux le murmure d’amour,

Qui vient mourir au seuil du célesteséjour !

Mais en vain dans le ciel les chœurs sacrés seturent ;

Autour du trône en vain tous les saintsaccoururent ;

L’archange entendit seul les ordres duTrès-Haut ;

Il s’incline, il adore, il s’élanceaussitôt.

Telle qu’au sein des nuits, une étoiletombante,

Se détachant soudain de la voûteéclatante,

Glisse, et d’un trait de feu fendantl’obscurité,

Vient aux bords des marais étendre saclarté :

Tel, d’un vol lumineux et d’une aileassurée,

L’ardent Ithuriel fend la plaine azurée.

À peine a-t-il franchi ces désertsenflammés,

Que la main du Très-Haut de soleils asemés,

Il ralentit son vol, et, comme un aigleimmense,

Sur son aile immobile un instant sebalance :

Il craint que la clarté des célestesrayons

Ne trahisse son vol aux yeux desnations ;

Et secouant trois fois ses ailesimmortelles,

Trois fois en fait jaillir des gerbesd’étincelles.

Le nocturne pasteur, qui compte dans lescieux

Les astres tant de fois nommés par sesaïeux,

Se trouble, et croit que Dieu de nouvellesétoiles

A de l’antique nuit semé les sombresvoiles !

Mais, pour tromper les yeux, l’archange essayeen vain

De dépouiller l’éclat de ce reflet divin,

L’immortelle clarté dont son aile estempreinte

L’accompagne au-delà de la célesteenceinte ;

Et ces rayons du ciel, dont il estpénétré,

Se détachant de lui, pâlissent par degré.

Ainsi le globe ardent, que l’ange desbatailles

Inventa pour briser les tours et lesmurailles,

Sur ses ailes de feu projeté dans lesairs,

Trace au sein de la nuit de sinistreséclairs :

Immobile un moment au haut de sa carrière,

Il pâlit, il retombe en perdant salumière ;

Tous les yeux avec lui dans les airssuspendus

Le cherchent dans l’espace et ne le trouventplus !

C’était l’heure où la nuit fait descendre duciel

Le silence et l’oubli, compagnons dusommeil ;

Le fleuve, déroulant ses vagues fugitives,

Réfléchissait les feux allumés sur sesrives,

Ces feux abandonnés, dont les débrismouvants

Pâlissaient, renaissaient, mouraient au grédes vents ;

D’une antique forêt le ténébreux ombrage

Couvrait au loin la plaine et bordait lerivage :

Là, sous l’abri sacré du chêne, aimé desFrancs,

Clovis avait planté ses pavillonserrants !

Les vents, par intervalle agitant lesarmures,

En tiraient dans la nuit de belliqueuxmurmures ;

L’astre aux rayons d’argent, se levant dansles cieux,

Répandait sur le champ son jourmystérieux,

Et, se réfléchissant sur l’acier destrophées,

Jetait dans la forêt des lueursétouffées :

Tels brillent dans la nuit, à travers lesrameaux,

Les feux tremblants du ciel, réfléchis dansles eaux.

Le messager divin s’avance vers la tente

Où Clovis, qu’entourait sa gardevigilante,

Commençait à goûter les nocturnespavots :

Clodomir et Lisois, compagnons du héros,

Debout devant la tente, appuyés sur leurlance,

Gardaient l’auguste seuil, et veillaient ensilence.

Mais de la palme d’or qui brille dans samain

L’ange en touchant leurs yeux les assoupitsoudain :

Ils tombent ; de leur main la lanceéchappe et roule,

Et sous son pied divin l’ange en passant lesfoule.

Du pavillon royal il franchit les degrés.

Sur la peau d’un lion, dont les onglesdorés

Retombaient aux deux bords de sa couched’ivoire,

Clovis dormait, bercé par des songes degloire.

L’ange, de sa beauté, de sa grâce étonné,

Contemple avec amour ce front prédestiné.

Il s’approche, il retient son haleinedivine,

Et sur le lit du prince en souriants’incline :

Telle une jeune mère, au milieu de lanuit,

De son lit nuptial sortant au moindrebruit,

Une lampe à la main, sur un piedsuspendue,

Vole à son premier-né, tremblant d’êtreentendue,

Et, pour calmer l’effroi qui la faisaitfrémir,

En silence longtemps le regardedormir !

Tel des ordres d’en haut l’exécuteurfidèle,

Se penchant sur Clovis, l’ombrageait de sonaile.

Sur le front du héros il impose sesmains :

Soudain, par un pouvoir ignoré deshumains,

Dénouant sans efforts les liens de la vie,

Des entraves des sens son âme ledélie :

L’ange, qui la reçoit, dirige son essor,

Et le corps du héros paraît dormirencor !

Dans l’astre au front changeant, dont la formeinégale,

Grandissant, décroissant, mourant parintervalle,

Prête ou retire aux nuits ses limpidesrayons,

L’Éternel étendit d’immenses régions,

Où, des êtres réels images symboliques,

Les songes ont bâti leurs palaisfantastiques.

Sortis demi-formés des mains duTout-Puissant,

Ils tiennent à la fois de l’être et dunéant ;

Un souffle aérien est toute leur essence,

Et leur vie est à peine une ombred’existence :

Aucune forme fixe, aucun contour précis,

N’indiquèrent jamais ces êtresindécis ;

Mais ils sont, aux regards de Dieu qui les fitnaître,

L’image du possible et les ombres del’être !

La matière et le temps sont soumis à leurslois.

Revêtus tour à tour de formes de leurchoix,

Tantôt de ce qui fut ils rendent lesimages ;

Et tantôt, s’élançant dans le lointain desâges,

Tous les êtres futurs, au néant arrachés,

Apparaissent d’avance en leurs jeuxébauchés.

Quand la nuit des mortels a fermé lapaupière,

Sur les pâles rayons de l’astre du mystère

Ils glissent en silence, et leurs nombreuxessaims

Ravissent au sommeil les âmes des humains,

Et, les portant d’un trait à leurs palaismagiques,

Font éclore à leurs yeux des mondesfantastiques.

De leur globe natal les divers éléments,

Subissant à leur voix d’éternelschangements,

Ne sont jamais fixés dans des formesprescrites,

Ne connaissent ni lois, ni repos, nilimites ;

Mais sans cesse en travail, l’un par l’autrepressés,

Séparés, confondus, attirés, repoussés,

Comme les flots mouvants d’une mer enfurie,

Leur forme insaisissable à chaque instantvarie :

Où des fleuves coulaient, où mugissaient desmers,

Des sommets escarpés s’élancent dans lesairs ;

Soudain dans les vallons les montagnesdescendent,

Sur leurs flancs décharnés des champs fécondss’étendent,

Qui, changés aussitôt en immenses déserts,

S’abîment à grand bruit dans des gouffresouverts !

Des cités, des palais et des templessuperbes

S’élèvent, et soudain sont cachés sous lesherbes ;

Tout change, et les cités, et les monts et leseaux,

S’y déroulent sans terme en horizonsnouveaux :

Tel roulait le chaos dans les déserts duvide,

Lorsque Dieu séparant le terre du fluide,

De la confusion des éléments divers

Son regard créateur vit sortirl’univers !

C’est là qu’Ithuriel, sur son ailebrillante,

Du héros endormi portait l’âme tremblante.

À peine il a touché ces bords mystérieux,

L’ombre de l’avenir éclôt devant sesyeux !

L’ange s’y précipite ; et son âmeétonnée

Parcourt en un clin d’œil l’immensedestinée !

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