Méditations poétiques

XXXII – LA SEMAINE SAINTE

À LA ROCHE-GUYON.

Ici viennent mourir les derniers bruits dumonde ;

Nautoniers sans étoile, abordez ! c’estle port :

Ici l’âme se plonge en une paix profonde,

Et cette paix n’est pas la mort.

Ici jamais le ciel n’est orageux nisombre ;

Un jour égal et pur y repose les yeux.

C’est ce vivant soleil, dont le soleil estl’ombre,

Qui le répand du haut des cieux.

Comme un homme éveillé longtemps avantl’aurore,

Jeunes, nous avons fui dans cet heureuxséjour ;

Notre rêve est fini, le vôtre dureencore :

Éveillez-vous ! voilà le jour.

Cœurs tendres, approchez ! Ici l’on aimeencore ;

Mais l’amour, épuré, s’allume surl’autel ;

Tout ce qu’il a d’humain à ce feus’évapore ;

Tout ce qui reste est immortel !

La prière, qui veille en ces saintesdemeures,

De l’astre matinal nous annonce lecours ;

Et, conduisant pour nous le char pieux desheures,

Remplit et mesure nos jours.

L’airain religieux s’éveille avecl’aurore ;

Il mêle notre hommage à la voix deszéphyrs ;

Et les airs, ébranlés sous le marteausonore,

Prennent l’accent de nos soupirs.

Dans le creux du rocher, sous une voûteobscure,

S’élève un simple autel : Roi du ciel,est-ce toi ?

Oui ; contraint par l’amour, le Dieu dela nature

Y descend, visible à la foi.

Que ma raison se taise, et que mon cœuradore !

La croix à mes regards révèle un nouveaujour ;

Aux pieds d’un Dieu mourant puis-je douterencore ?

Non : l’amour m’explique l’amour.

Tous ces fronts prosternés, ce feu qui lesembrase,

Ces parfums, ces soupirs s’exhalant du saintlieu,

Ces élans enflammés, ces larmes del’extase,

Tout me répond que c’est un Dieu.

Favoris du Seigneur, souffrez qu’à votreexemple,

Ainsi qu’un mendiant aux portes d’unpalais,

J’adore aussi de loin, sur le seuil de sontemple,

Le Dieu qui vous donne la paix.

Ah ! laissez-moi mêler mon hymne à voslouanges !

Que mon encens souillé monte avec votreencens.

Jadis les fils de l’homme aux saints concertsdes anges

Ne mêlaient-ils pas leurs accents ?

Du nombre des vivants chaque aurorem’efface ;

Je suis rempli de jours, de douleurs, deremords.

Sous le portique obscur venez marquer maplace,

Ici, près du séjour des morts.

Souffrez qu’un étranger veille auprès de leurcendre.

Brûlant sur un cercueil comme ces saintsflambeaux,

La mort m’a tout ravi, la mort doit tout merendre ;

J’attends le réveil des tombeaux !

Ah ! puissé-je près d’eux, au gré de monenvie,

À l’ombre de l’autel, et non loin de ceport,

Seul, achever ainsi les restes de ma vie

Entre l’espérance et la mort !

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