Méditations poétiques

Commentaire.

J’écrivis cette première méditation un soir dumois de septembre 1819, au coucher du soleil, sur la montagne quidomine la maison de mon père, à Milly. J’étais isolé depuisplusieurs mois dans cette solitude. Je lisais, je rêvais,j’essayais quelquefois d’écrire, sans rencontrer jamais la notejuste et vraie qui répondît à l’état de mon âme ; puis jedéchirais et je jetais au vent les vers que j’avais ébauchés.J’avais perdu l’année précédente, par une mort précoce, la personneque j’avais le plus aimée jusque-là. Mon cœur n’était pas guéri desa première grande blessure, il ne le fut même jamais. Je puis direque je vivais en ce temps-là avec les morts plus qu’avec lesvivants. Ma conversation habituelle, selon l’expression sacrée,était dans le ciel. On a vu dans Raphaël comment j’avaisété attaché et détaché soudainement de mon idolâtrie d’ici-bas.

J’avais emporté ce jour-là sur la montagne unvolume de Pétrarque, dont je lisais de temps en temps quelquessonnets. Les premiers vers de ces sonnets me ravissaient en extasedans le monde de mes propres pensées. Les derniers vers mesonnaient mélodieusement à l’oreille, mais faux au cœur. Lesentiment y devient l’esprit. L’esprit a toujours, pour moi,neutralisé le génie. C’est un vent froid qui sèche les larmes surles yeux. Cependant j’adorais et j’adore encore Pétrarque. L’imagede Laure, le paysage de Vaucluse, sa retraite dans les collineseuganéennes, dans son petit village que je me figuraissemblable à Milly, cette vie d’une seule pensée, ce soupir qui seconvertit naturellement en vers, ces vers qui ne portent qu’un nomaux siècles, cet amour mêlé à cette prière, qui font ensemble commeun duo dont une voix se plaint sur la terre, dont l’autrevoix répond du ciel ; enfin cette mort idéale de Pétrarque latête sur les pages de son livre, les lèvres collées sur le nom deLaure, comme si sa vie se fût exhalée dans un baiser donné à unrêve ! tout cela m’attachait alors et m’attache encoreaujourd’hui à Pétrarque. C’est incontestablement pour moi lepremier poëte de l’Italie moderne, parce qu’il est à la fois leplus élevé et le plus sensible, le plus pieux et le plusamoureux ; il est certainement aussi le plus harmonieux :pourquoi n’est-il pas le plus simple ? Mais la simplicité estle chef-d’œuvre de l’art, et l’art commençait. Les vices de ladécadence sont aussi les vices de l’enfance des littératures. Lespoésies populaires de la Grèce moderne, de l’Arabie et de la Perse,sont pleines d’afféterie et de jeux de mots. Les peuples enfantsaiment ce qui brille avant d’aimer ce qui luit ; il en estpour eux des poésies comme des couleurs : l’écarlate et lapourpre leur plaisent dans les vêtements avant les couleursmodérées dont se revêtent les peuples plus avancés en civilisationet en vrai goût.

Je rentrai à la nuit tombante, mes vers dansla mémoire, et me les redisant à moi-même avec une douceprédilection. J’étais comme le musicien qui a trouvé un motif, etqui se le chante tout bas avant de le confier à l’instrument.L’instrument pour moi, c’était l’impression. Je brûlais d’essayerl’effet du timbre de ces vers sur le cœur de quelques hommessensibles. Quant au public, je n’y songeais pas, ou je n’enespérais rien. Il s’était trop endurci le sentiment, le goût etl’oreille aux vers techniques de Delille, d’Esménard et de toutel’école classique de l’Empire, pour trouver du charme à deseffusions de l’âme, qui ne ressemblaient à rien, selon l’expressionde M. D*** à Raphaël.

Je résolus de tenter le hasard, et de lesfaire imprimer à vingt exemplaires sur beau papier, en beaucaractère, par les soins du grand artiste en typographie, del’Elzevir moderne, M. Didot. Je les envoyai à un de mesamis à Paris : il me les renvoya imprimés. Je fus aussi ravien me lisant pour la première fois, magnifiquement reproduit surpapier vélin, que si j’avais vu dans un miroir magique l’image demon âme. Je donnai mes vingt exemplaires à mes amis : ilstrouvèrent les vers harmonieux et mélancoliques ; ils meprésagèrent l’étonnement d’abord, puis après l’émotion du public.Mais j’avais moins de confiance qu’eux dans le goût dépravé, ouplutôt racorni, du temps. Je me contentai de ce public composé dequelques cœurs à l’unisson du mien, et je ne pensai plus à lapublicité.

Ce ne fut que longtemps après, qu’enfeuilletant un jour mon volume de Pétrarque, je retrouvai ces vers,intitulés : Méditation, et que je les recueillis par droit deprimogéniture pour en faire la première pièce de mon recueil. Cesouvenir me les a rendus toujours chers depuis, parce qu’ilsétaient tombés de ma plume comme une goutte de la rosée du soir surla colline de mon berceau, et comme une larme sonore de mon cœursur la page de Pétrarque, où je ne voulais pas écrire, maispleurer.

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