Méditations poétiques

AVERTISSEMENT.

Si la poésie n’est pas un vain assemblage desons, elle est sans doute la forme la plus sublime que puisserevêtir la pensée humaine : elle emprunte à la musique cettequalité indéfinissable de l’harmonie qu’on a appelée céleste, fautede pouvoir lui trouver un autre nom : parlant aux sens par lacadence des sons, et à l’âme par l’élévation et l’énergie du sens,elle saisit à la fois tout l’homme ; elle le charme, le ravit,l’enivre, elle exalte en lui le principe divin ; elle lui faitsentir un moment ce quelque chose de plus qu’humain quil’a fait nommer la langue des dieux.

C’est du moins la langue des philosophes, sila philosophie est ce qu’elle doit être, le plus haut degréd’élévation donné à la pensée humaine, la raison divinisée :la métaphysique et la poésie sont donc sœurs, ou plutôt ne sontqu’une : l’une étant le beau idéal dans la pensée, l’autre lebeau idéal dans l’expression ; pourquoi les séparer ?pourquoi dessécher l’une et avilir l’autre ? l’homme a-t-iltrop de ses dons célestes pour s’en dépouiller à plaisir ?a-t-il peur de donner trop d’énergie à son âme en réunissant cesdeux puissances ? Hélas ! il retombera toujours assez tôtdans les formes et dans les pensée vulgaires ! La sublimephilosophie, la poésie digne d’elle, ne sont que des révélationsrapides qui viennent interrompre trop rarement la triste monotoniedes siècles : ce qui est beau dans tous les genres n’est pasde tous les jours ici-bas ; c’est un éclair de cet autre mondeoù l’âme s’élève quelquefois, mais où elle ne séjourne pas.

Ces réflexions nous semblent propres à excuserdu moins l’auteur de ce fragment, d’avoir tenté de fondreensemble la poésie et la métaphysique de ces belles doctrines dusage des sages ; quoique ce morceau porte le nom de Socrate,on y sent cependant déjà une philosophie plus avancée, et comme unavant-goût du christianisme près d’éclore : si un hommeméritait sans doute qu’on lui supposât d’avance les sublimesinspirations, cet homme était Socrate.

Il avait combattu toute sa vie cet empire dessens que le Christ venait renverser ; sa philosophie étaittoute religieuse ; elle était humble, car il la sentaitinspirée ; elle était douce, elle était tolérante, elle étaitrésignée : elle avait deviné l’unité de Dieu, l’immortalité del’âme, plus encore, s’il faut en croire les commentateurs de Platonet quelques mots étranges échappés à ces deux bouches sublimes.L’homme était allé jusqu’où l’homme pouvait aller ; il fallaitune révélation pour lui faire franchir encore un pas immense.Socrate, lui, en sentait le besoin ; il l’indiquait ; illa préparait par ses discours, par sa vie et par sa mort. Il étaitdigne de l’entrevoir à ses derniers moments ; en un mot, ilétait inspiré ; il nous le dit, il nous le répète, et pourquoirefuserions-nous de croire sur parole l’homme qui donnait sa viepour l’amour de la vérité ? Y a-t-il beaucoup de témoignagesqui vaillent la parole de Socrate mourant ? Oui, sans doute,il était inspiré ; il était un précurseur de cette révélationdéfinitive que Dieu préparait de temps en temps par des révélationspartielles. Car la vérité et la sagesse ne sont point denous : elles descendent du ciel dans les cœurs choisis quisont suscités de Dieu selon les besoins des temps. Il les semait çàet là ; il les répandait goutte à goutte pour en donnerseulement la connaissance et le désir, jusqu’au moment où il devaitnous en rassasier avec plénitude.

Indépendamment de la sublimité des doctrinesqu’il annonçait, la mort de Socrate était un tableau digne desregards des hommes et du ciel ; il mourait sans haine pour sespersécuteurs, victime de ses vertus, s’offrant en holocauste pourla vérité : il pouvait se défendre, il pouvait se renierlui-même ; il ne le voulut pas ; c’eût été mentir au Dieuqui parlait en lui, et rien n’annonce qu’un sentiment d’orgueilsoit venu altérer la pureté, la beauté de ce sublime dévouement.Ses paroles rapportées par Platon sont aussi simples à la fin deson dernier jour qu’au milieu de sa vie ; la solennité de cegrand moment de la mort ne donne à ses expressions ni tension nifaiblesse ; obéissant avec amour à la volonté des dieux qu’ilaime à reconnaître en tout, son dernier jour ne diffère en rien deses autres jours, si ce n’est qu’il n’aura pas de lendemain !Il continue avec ses amis le sujet de conversation commencé laveille ; il boit la ciguë comme un breuvage ordinaire ;il se couche pour mourir, comme il aurait fait pour dormir :tant il est sûr que les dieux sont là, avant, après, partout, etqu’il va se réveiller dans leur sein !

Le poëte n’a pas interrompu son chant par lesdétails assez connus du jugement, et par les longues dissertationsde Socrate et de ses amis ; il n’a chanté que les dernièresheures et les dernières paroles du philosophe, ou du moins lesparoles qu’il lui suppose. Nous l’imiterons ; nous nouscontenterons de rappeler l’avant-scène aux lecteurs.

Socrate, condamné à mourir pour ses opinionsreligieuses, attendait la mort depuis plusieurs jours ; maisil ne devait boire la ciguë qu’au moment où le vaisseau envoyé tousles ans à Délos en l’honneur de Thésée, serait de retour dans leport d’Athènes. C’est ce vaisseau que l’on nommait Théorie, etqu’on apercevait dans le lointain au moment où le poëmecommence.

Le Serviteur des Onze était unesclave de ce tribunal, destiné au service des prisonniers enattendant l’exécution des sentences. Ce fragment est imprimé commeil a été écrit par l’auteur, dans une forme inusité, par coupletsd’inégale longueur ; après chaque couplet, nous avons placé untrait qui indique la suspension du sens, et l’auteur passe souvent,sans autre transition, d’une pensée à une autre.

Nous nous servirons pour les notes, toutestirées de Platon, de l’admirable traduction de Platon par M.Cousin. Ce jeune philosophe, digne d’expliquer un pareil maître,pour faire rougir notre siècle de ses honteux et dégradantssophismes, après l’avoir rappelé lui-même aux plus nobles théoriesdu spiritualisme, a eu l’heureuse pensée de lui révéler la sagesseantique dans toute sa grâce et toute sa beauté. Trouvant laphilosophie de nos jours encore toute souillée des lambeaux dumatérialisme, il lui montre Socrate, et semble lui dire :« Voilà ce que tu es, et voilà ce que tu as été ! »Espérons qu’en achevant son bel ouvrage, il la dégagera aussi desnuages dont Kant et quelques-uns de ses disciples l’ont enveloppée,et nous la fera apparaître enfin toute resplendissante de la purelumière du christianisme.

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