Commentaire.
J’avais connu M. de Lamennais par sonEssai sur l’indifférence. Il m’avait connu par quelquesvers de moi que lui avait récités M. de Genoude, alors son ami etle mien. L’Essai sur l’indifférence m’avait frappé commeune page de J. J. Rousseau retrouvée dans le dix-neuvième siècle.Je m’attachais peu aux arguments, qui me paraissaientfaibles ; mais l’argumentation me ravissait. Ce styleréalisait la grandeur, la vigueur et la couleur que je portais dansmon idéal de jeune homme. J’avais besoin d’épancher mon admiration.Je ne pouvais le faire qu’en m’élevant au sujet le plus haut de lapensée humaine, Dieu. J’écrivis ces vers en retournantseul à cheval de Paris à Chambéry, par de belles et longuesjournées du mois de mai. Je n’avais ni papier, ni crayon, ni plume.Tout ce gravait dans ma mémoire à mesure que tout sortait de moncœur et de mon imagination. La solitude et le silence des grandesroutes à une certaine distance de Paris, l’aspect de la nature etdu ciel, la splendeur de la saison, ce sentiment de voluptueuxfrisson que j’ai toujours éprouvé en quittant le tumulte d’unegrande capitale pour me replonger dans l’air muet, profond etlimpide des grands horizons, tout semblable, pour mon âme, à cefrisson qui saisit et raffermit les nerfs quand on se plonge pournager dans les vagues bleues et fraîches de la Méditerranée ;enfin, le pas cadencé de mon cheval, qui berçait ma pensée commemon corps, tout cela m’aidait à rêver, à contempler, à penser, àchanter. En arrivant, le soir, au cabaret de village où jem’arrêtais ordinairement pour passer la nuit, et après avoir donnél’avoine, le seau d’eau du puits, et étendu la paille de sa litièreà mon cheval, que j’aimais mieux encore que mes vers, je demandaisune plume et du papier à mon hôtesse, et j’écrivais ce que j’avaiscomposé dans la journée. En arrivant à Ursy, dans les bois de lahaute Bourgogne, au château de mon oncle, l’abbé de Lamartine, mesvers étaient terminés.