Méditations poétiques

Commentaire.

C’était en 1819.

Je vis un jour entrer dans ma chambre haute dugrand et bel hôtel de Richelieu, rue Neuve-Saint-Augustin, quej’habitais pendant mon séjour à Paris, un jeune homme d’une figurebelle, gracieuse, noble, un peu féminine. Il était introduit par leduc Matthieu de Montmorency, depuis ministre, et gouverneur du ducde Bordeaux. M. Matthieu de Montmorency, célèbre par son rôle dansla révolution de 1789, puis par son amitié pour Mme de Staël, enfinpar son dévouement à la maison de Bourbon, m’honorait d’unebienveillance qui ne coûtait rien à son caractère surabondant detendresse, d’âme et de grâce aristocratique : égalité qu’ilvoulait bien établir de si haut et de si loin entre lui et moi, laplus charmante des égalités, parce qu’elle est un don du cœur, etnon une exigence de l’infériorité sociale.

Ce jeune homme était le duc de Rohan, depuisarchevêque de Besançon et cardinal.

Le duc de Rohan était alors un brillantofficier des mousquetaires rouges, admiré et envié pour l’élégancede sa personne, pour l’éclat de ses uniformes, pour la beauté deses chevaux, pour la magnificence de ses palais et de ses jardinsaux environs de Paris, et surtout pour la splendeur de son nom. Ilaimait les vers : M. Matthieu de Montmorency lui avait récitéquelques strophes de moi, retenues dans sa mémoire. Il avait désiréme connaître : il me plut au premier coup d’œil. Nous nousliâmes d’amitié, sans qu’il me fît sentir jamais, et sans que je mepermisse d’oublier moi-même, par ce tact naturel qui estl’étiquette de la nature, la distance qu’il voulait bien franchir,mais qui existait néanmoins entre deux noms que la poésie seulepouvait un moment rapprocher.

Le duc de Rohan rêvait déjà desacerdoce : il était né pour l’autel comme d’autres naissentpour le champ de bataille, pour la tribune ou pour la mer. Ilaspirait au moment de consacrer à Dieu son âme, sa jeunesse, songrand nom. Il possédait à la Roche-Guyon, sur le rivage escarpé dela Seine, une résidence presque royale de sa famille. Le principalornement du château était une chapelle creusée dans le roc,véritable catacombe affectant, dans les circonvolutions caverneusesde la montagne, la forme des nefs, des chœurs, des piliers, desjubés d’une cathédrale. Il m’engagea à y aller passer la semainesainte avec lui. Il m’y conduisit lui-même. J’y trouvai une réunionde jeunes gens distingués qui sont devenus, pour la plupart, deshommes éminents dans le clergé, dans la diplomatie, ou des hommescélèbres dans les lettres, depuis cette époque. Le servicereligieux, volupté pieuse du duc de Rohan, se faisait tous lesjours dans cette église souterraine avec une pompe, un luxe et desenchantements sacrés qui enivraient de jeunes imaginations. J’étaistrès religieux d’instinct, mais très indépendant d’esprit. Seul detoute cette jeunesse, je n’avais aucun goût pour les délicesmystiques de la sacristie. Le duc de Rohan et ses amis mepardonnaient mon indépendance de foi en faveur de mes ardentesinspirations vers l’infini et vers la nature. J’étais à leurs yeuxune sorte d’instrument lyrique, sur les cordes duquel nerésonnaient encore que des hymnes profanes, mais qu’on pouvaitporter dans le temple pour y chanter les gloires de Dieu et lesdouleurs de l’homme.

C’est au retour de cette hospitalité du duc deRohan à la Roche-Guyon que j’écrivis ces vers.

Depuis, nous suivîmes, chacun de notre côté,la route diverse que la destinée trace à chaque existence :lui, vers le sanctuaire et vers le ciel, où il se réfugia jeune,aux premiers orages de la révolution de 1830 ; moi, versl’inconnu.

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