Méditations poétiques

XIX – LA PRIÈRE.

Le roi brillant du jour, se couchant dans sagloire,

Descend avec lenteur de son char devictoire ;

Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux

Conserve en sillons d’or sa trace dans lescieux,

Et d’un reflet de pourpre inondel’étendue.

Comme une lampe d’or dans l’azursuspendue,

La lune se balance au bord del’horizon ;

Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon,

Et le voile des nuits sur les monts sedéplie.

C’est l’heure où la nature, un momentrecueillie,

Entre la nuit qui tombe et le jour quis’enfuit,

S’élève au créateur du jour et de la nuit,

Et semble offrir à Dieu, dans son brillantlangage,

De la création le magnifique hommage.

Voilà le sacrifice immense,universel !

L’univers est le temple et la terre estl’autel ;

Les cieux en sont le dôme, et ses astres sansnombre,

Ces feux demi-voilés, pâle ornement del’ombre,

Dans la voûte d’azur avec ordre semés,

Sont les sacrés flambeaux pour ce templeallumés :

Et ces nuages purs qu’un jour mourantcolore,

Et qu’un souffle léger, du couchant àl’aurore,

Dans les plaines de l’air repliantmollement,

Roule en flocons de pourpre aux bords dufirmament,

Sont les flots de l’encens qui monte ets’évapore

Jusqu’au trône du Dieu que la natureadore.

Mais ce temple est sans voix. Où sont lessaints concerts ?

D’où s’élèvera l’hymne au roi del’univers ?

Tout se tait : mon cœur seul parle dansce silence.

La voix de l’univers, c’est monintelligence.

Sur les rayons du soir, sur les ailes duvent,

Elle s’élève à Dieu comme un parfumvivant,

Et, donnant un langage à toute créature,

Prête, pour l’adorer, mon âme à la nature.

Seul, invoquant ici son regard paternel,

Je remplis le désert du nom del’Éternel ;

Et Celui qui, du sein de sa gloireinfinie,

Des sphères qu’il ordonne écoutel’harmonie,

Écoute aussi la voix de mon humble raison,

Qui contemple sa gloire et murmure sonnom.

Salut, principe et fin de toi-même et dumonde !

Toi qui rends d’un regard l’immensitéféconde,

Âme de l’univers, Dieu, père, créateur,

Sous tous ces noms divers je crois en toi,Seigneur ;

Et, sans avoir besoin d’entendre taparole,

Je lis au front des cieux mon glorieuxsymbole.

L’étendue à mes yeux révèle tagrandeur ;

La terre, ta bonté ; les astres ta,splendeur.

Tu t’es produit toi-même en ton brillantouvrage !

L’univers tout entier réfléchit ton image,

Et mon âme à son tour réfléchit l’univers.

Ma pensée, embrassant tes attributsdivers,

Partout autour de soi te découvre ett’adore,

Se contemple soi-même, et t’y découvreencore :

Ainsi l’astre du jour éclate dans lescieux,

Se réfléchit dans l’onde et se peint à mesyeux.

C’est peu de croire en toi, bonté, beautésuprême !

Je te cherche partout, j’aspire à toi, jet’aime !

Mon âme est un rayon de lumière et d’amour

Qui, du foyer divin détaché pour un jour,

De désirs dévorants loin de toi consumée,

Brûle de remonter à sa source enflammée.

Je respire, je sens, je pense, j’aime entoi !

Ce monde qui te cache est transparent pourmoi ;

C’est toi que je découvre au fond de lanature,

C’est toi que je bénis dans toutecréature.

Pour m’approcher de toi, j’ai fui dans cesdéserts :

Là, quand l’aube, agitant son voile dans lesairs,

Entr’ouvre l’horizon qu’un jour naissantcolore,

Et sème sur les monts les perles del’aurore,

Pour moi c’est ton regard qui, du divinséjour,

S’entr’ouvre sur le monde et lui répand lejour.

Quand l’astre à son midi, suspendant sacarrière,

M’inonde de chaleur, de vie et de lumière,

Dans ses puissants rayons, qui raniment messens,

Seigneur, c’est ta vertu, ton souffle que jesens ;

Et quand la nuit, guidant son cortèged’étoiles,

Sur le monde endormi jette ses sombresvoiles,

Seul, au sein du désert et de l’obscurité,

Méditant de la nuit la douce majesté,

Enveloppé de calme, et d’ombre, et desilence,

Mon âme de plus près adore taprésence ;

D’un jour intérieur je me sens éclairer,

Et j’entends une voix qui me ditd’espérer.

Oui, j’espère, Seigneur, en tamagnificence :

Partout à pleines mains prodiguantl’existence,

Tu n’auras pas borné le nombre de mesjours

À ces jours d’ici-bas, si troublés et sicourts.

Je te vois en tous lieux conserver etproduire :

Celui qui peut créer dédaigne de détruire.

Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté,

J’attends le jour sans fin del’immortalité.

La mort m’entoure en vain de ses ombresfunèbres,

Ma raison voit le jour à travers lesténèbres ;

C’est le dernier degré qui m’approche detoi,

C’est le voile qui tombe entre ta face etmoi.

Hâte pour moi, Seigneur, ce moment quej’implore,

Ou, si, dans tes secrets tu le retiensencore,

Entends du haut du ciel le cri de mesbesoins !

L’atome et l’univers sont l’objet de tessoins :

Des dons de ta bonté soutiens monindigence ;

Nourris mon corps de pain, mon âmed’espérance ;

Réchauffe d’un regard de tes yeuxtout-puissants

Mon esprit éclipsé par l’ombre de messens,

Et, comme le soleil aspire la rosée,

Dans ton sein à jamais absorbe mapensée !

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