XXIV – LE GOLFE DE BAÏA
Vois-tu comme le flot paisible
Sur le rivage vient mourir ?
Vois-tu le volage zéphyr
Rider, d’une haleine insensible,
L’onde qu’il aime à parcourir ?
Montons sur la barque légère
Que ma main guide sans efforts,
Et de ce golfe solitaire
Rasons timidement les bords.
Loin de nous déjà fuit la rive :
Tandis que d’une main craintive
Tu tiens le docile aviron,
Courbé sur la rame bruyante,
Au sein de l’onde frémissante
Je trace un rapide sillon.
Dieu ! quelle fraîcheur onrespire !
Plongé dans le sein de Téthys,
Le soleil a cédé l’empire
À la pâle reine des nuits ;
Le sein des fleurs demi-fermées
S’ouvre, et de vapeurs embaumées
En ce moment remplit les airs ;
Et du soir la brise légère
Des plus doux parfums de la terre
À son tour embaume les mers.
Quels chants sur ces flotsretentissent ?
Quels chants éclatent sur ces bords ?
De ces doux concerts qui s’unissent
L’écho prolonge les accords,
N’osant se fier aux étoiles,
Le pêcheur, repliant ses voiles,
Salue en chantant son séjour ;
Tandis qu’une folle jeunesse
Pousse au ciel des cris d’allégresse,
Et fête son heureux retour.
Mais déjà l’ombre plus épaisse
Tombe, et brunit les vastes mers ;
Le bord s’efface, le bruit cesse,
Le silence occupe les airs.
C’est l’heure où la Mélancolie
S’assied pensive et recueillie
Aux bords silencieux des mers,
Et, méditant sur les ruines,
Contemple au penchant des collines
Ce palais, ces temples déserts.
Ô de la liberté vieille et saintepatrie !
Terre autrefois féconde en sublimesvertus,
Sous d’indignes Césars[2]maintenant asservie,
Ton empire est tombé, tes héros ne sontplus !
Mais dans ton sein l’âme agrandie
Croit sur leurs monuments respirer leurgénie,
Comme on respire encor dans un templeaboli
La majesté du Dieu dont il était rempli.
Mais n’interrogeons pas vos cendresgénéreuses,
Vieux Romains, fiers Catons, mânes des deuxBrutus !
Allons redemander à ces murs abattus
Des souvenirs plus doux, des ombres plusheureuses.
Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour ;
Properce y visitait Cynthie,
Et sous les regards de Délie
Tibulle y modulait les soupirs de l’amour.
Plus loin, voici l’asile où vint chanter leTasse,
Quand, victime à la fois du génie et dusort,
Errant dans l’univers, sans refuge et sansport,
La pitié recueillit son illustre disgrâce.
Non loin des mêmes bords, plus tard il vintmourir ;
La gloire l’appelait, il arrive, ilsuccombe :
La palme qui l’attend devant lui semblefuir,
Et son laurier tardif n’ombrage que satombe.
Colline de Baïa ! poétiqueséjour !
Voluptueux vallon qu’habita tour à tour
Tout ce qui fut grand dans le monde,
Tu ne retentis plus de gloire ni d’amour.
Pas une voix qui me réponde,
Que le bruit plaintif de cette onde,
Ou l’écho réveillé des débrisd’alentour !
Ainsi tout change, ainsi tout passe ;
Ainsi nous-mêmes nous passons,
Hélas ! sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s’efface.