XI – À EL***
Lorsque seul avec toi, pensive etrecueillie,
Tes deux mains dans la mienne, assis à tescôtés,
J’abandonne mon âme aux molles voluptés
Et je laisse couler les heures quej’oublie ;
Lorsqu’au fond des forêts je t’entraîne avecmoi,
Lorsque tes doux soupirs charment seuls monoreille,
Ou que, te répétant les serments de laveille,
Je te jure à mon tour de n’adorer quetoi ;
Lorsqu’enfin, plus heureux, ton front charmantrepose
Sur mon genou tremblant qui lui sert desoutien,
Et que mes doux regards sont suspendus autien
Comme l’abeille avide aux feuilles de larose ;
Souvent alors, souvent, dans le fond de moncœur
Pénètre comme un trait une vagueterreur ;
Tu me vois tressaillir ; je pâlis, jefrissonne,
Et troublé tout à coup dans le sein dubonheur,
Je sens couler des pleurs dont mon âmes’étonne.
Tu me presses soudain dans tes brascaressants,
Tu m’interroges, tu t’alarmes,
Et je vois de tes yeux s’échapper quelqueslarmes
Qui viennent se mêler aux pleurs que jerépands.
» De quel ennui secret ton âme est-elleatteinte ?
Me dis-tu : cher amour, épanche tadouleur ;
J’adoucirai ta peine en écoutant taplainte,
Et mon cœur versera le baume dans ton cœur. »
Ne m’interroge plus, ô moitié demoi-même !
Enlacé dans tes bras, quand tu me dis :Je t’aime ;
Quand mes yeux enivrés se soulèvent verstoi,
Nul mortel sous les cieux n’est plus heureuxque moi !
Mais jusque dans le sein des heuresfortunées
Je ne sais quelle voix que j’entendsretentir
Me poursuit, et vient m’avertir
Que le bonheur s’enfuit sur l’aile desannées,
Et que de nos amours le flambeau doitmourir !
D’un vol épouvanté, dans le sombre avenir
Mon âme avec effroi se plonge,
Et je me dis : Ce n’est qu’un songe
Que le bonheur qui doit finir.