Méditations poétiques

XXI – LA FOI.

Ô néant ! ô seul dieu que je puissecomprendre !

Silencieux abîme où je vais redescendre,

Pourquoi laissas-tu l’homme échapper de tamain ?

De quel sommeil profond je dormais dans tonsein !

Dans l’éternel oubli j’y dormiraisencore ;

Mes yeux n’auraient pas vu ce faux jour quej’abhorre ;

Et dans ta longue nuit mon paisiblesommeil

N’aurait jamais connu ni songes ni réveil.

Mais puisque je naquis, sans doute il fallaitnaître.

Si l’on m’eût consulté, j’aurais refusél’être.

Vains regrets ! le destin me condamnaitau jour,

Et je viens, ô soleil, te maudire à montour.

Cependant, il est vrai, cette premièreaurore,

Ce réveil incertain d’un être quis’ignore,

Cet espace infini s’ouvrant devant sesyeux,

Ce long regard de l’homme interrogeant lescieux,

Ce vague enchantement, ces torrentsd’espérance,

Éblouissent les yeux au seuil del’existence.

Salut, nouveau séjour où le temps m’ajeté,

Globe, témoin futur de ma félicité !

Salut, sacré flambeau qui nourris lanature !

Soleil, premier amour de toutecréature !

Vastes cieux, qui cachez le Dieu qui vous afaits !

Terre, berceau de l’homme, admirablepalais !

Homme, semblable à moi, mon compagnon, monfrère !

Toi plus belle à mes yeux, à mon âme pluschère !

Salut, objets, témoins, instruments dubonheur !

Remplissez vos destins, je vous apporte uncœur …

Que ce rêve est brillant ! mais,hélas ! c’est un rêve.

Il commençait alors ; maintenant ils’achève.

La douleur lentement m’entr’ouvre letombeau :

Salut, mon dernier jour, sois mon jour le plusbeau !

J’ai vécu ; j’ai passé ce désert de lavie,

Où toujours sous mes pas chaque fleur s’estflétrie ;

Où toujours l’espérance, abusant maraison,

Me montrait le bonheur dans un vaguehorizon ;

Où du vent de la mort les brûlanteshaleines

Sous mes lèvres toujours tarissaient lesfontaines.

Qu’un autre, s’exhalant en regretssuperflus,

Redemande au passé ses jours qui ne sontplus,

Pleure de son printemps l’aurore évanouie,

Et consente à revivre une secondevie :

Pour moi, quand le destin m’offrirait, à monchoix,

Le sceptre du génie ou le trône des rois,

La gloire, la beauté, les trésors, lasagesse,

Et joindrait à ses dons l’éternellejeunesse ;

J’en jure par la mort, dans un mondepareil,

Non, je ne voudrais pas rajeunir d’unsoleil.

Je ne veux pas d’un monde où tout change, oùtout passe ;

Où, jusqu’au souvenir, tout s’use et touts’efface ;

Où tout est fugitif, périssable,incertain ;

Où le jour du bonheur n’a pas delendemain.

Combien de fois ainsi, trompé parl’existence,

De mon sein pour jamais j’ai bannil’espérance !

Combien de fois ainsi mon esprit abattu

A cru s’envelopper d’une froide vertu,

Et, rêvant de Zénon la trompeuse sagesse,

Sous un manteau stoïque a caché safaiblesse !

Dans son indifférence un jour enseveli,

Pour trouver le repos il invoquaitl’oubli :

Vain repos, faux sommeil ! Tel qu’au pieddes collines

Où Rome sort du sein de ses propresruines,

L’œil voit dans ce chaos, confusémentépars,

D’antiques monuments, de modernesremparts,

Des théâtres croulants, dont les frontonssuperbes

Dorment dans la poussière ou rampent sous lesherbes,

Les palais des héros par les roncescouverts,

Des dieux couchés au seuil de leurs templesdéserts,

L’obélisque éternel ombrageant lachaumière,

La colonne portant une image étrangère,

L’herbe dans le forum, les fleurs dans lestombeaux,

Et ces vieux panthéons peuplés de dieuxnouveaux ;

Tandis que, s’élevant de distance endistance,

Un faible bruit de vie interrompt cesilence…

Telle est notre âme après ces longsébranlements :

Secouant la raison jusqu’en sesfondements,

Le malheur n’en fait plus qu’une immenseruine ;

Où comme un grand débris le désespoirdomine ;

De sentiments éteints silencieux chaos,

Éléments opposés sans vie et sans repos,

Restes des passions par le temps effacées,

Combat désordonné de vœux et de pensées,

Souvenirs expirants, regrets, dégoûts,remord.

Si du moins ces débris nous attestaient samort !

Mais sous ce vaste deuil l’âme encore estvivante ;

Ce feu sans aliment soi-mêmes’alimente ;

Il renaît de sa cendre, et ce fatalflambeau

Craint de brûler encore au-delà dutombeau.

Âme ! qui donc es-tu ? Flamme qui medévore,

Dois-tu vivre après moi ? dois-tusouffrir encore ?

Hôte mystérieux, que vas-tu devenir ?

Au grand flambeau du jour vas-tu teréunir ?

Peut-être de ce feu tu n’es qu’uneétincelle,

Qu’un rayon égaré, que cet astrerappelle ;

Peut-être que, mourant lorsque l’homme estdétruit,

Tu n’es qu’un suc plus pur que la terre aproduit,

Une fange animée, une argile pensante…

Mais que vois-je ? À ce mot, tu frémisd’épouvante :

Redoutant le néant, et lasse de souffrir,

Hélas ! tu crains de vivre et trembles demourir.

Qui te révélera, redoutable mystère ?

J’écoute en vain la voix des sages de laterre ;

Le doute égare aussi ces sublimes esprits,

Et de la même argile ils ont été pétris.

Rassemblant les rayons de l’antiquesagesse,

Socrate te cherchait aux beaux jours de laGrèce ;

Platon à Sunium te cherchait aprèslui :

Deux mille ans sont passés, je te chercheaujourd’hui ;

Deux mille ans passeront, et les enfants deshommes

S’agiteront encor dans la nuit où noussommes.

La vérité rebelle échappe à nos regards,

Et Dieu seul réunit tous ses rayons épars.

Ainsi, prêt à fermer mes yeux à lalumière,

Nul espoir ne viendra consoler mapaupière :

Mon âme aura passé, sans guide et sansflambeau,

De la nuit d’ici-bas dans la nuit dutombeau ;

Et j’emporte au hasard, au monde où jem’élance,

Ma vertu sans espoir, mes maux sansrécompense.

Réponds-moi, Dieu cruel ! S’il est vraique tu sois,

J’ai donc le droit fatal de maudire teslois !

Après le poids du jour, du moins lemercenaire

Le soir s’assied à l’ombre, et reçoit sonsalaire ;

Et moi, quand je fléchis sous le fardeau dusort,

Quand mon jour est fini, mon salaire est lamort !

…………………………

Mais, tandis qu’exhalant le doute et leblasphème,

Les yeux sur mon tombeau, je pleure surmoi-même,

La foi, se réveillant, comme un douxsouvenir,

Jette un rayon d’espoir sur mon pâleavenir,

Sous l’ombre de la mort me ranime etm’enflamme,

Et rend à mes vieux jours la jeunesse del’âme.

Je remonte, aux lueurs de ce flambeaudivin,

Du couchant de ma vie à son riantmatin ;

J’embrasse d’un regard la destinéehumaine ;

À mes yeux satisfaits tout s’ordonne ets’enchaîne ;

Je lis dans l’avenir la raison duprésent ;

L’espoir ferme après moi les portes dunéant,

Et, rouvrant l’horizon à mon âme ravie,

M’explique par la mort l’énigme de la vie.

Cette foi qui m’attend au bord de montombeau,

Hélas ! il m’en souvient, plana sur monberceau.

De la terre promise immortel héritage,

Les pères à leurs fils l’ont transmis d’âge enâge.

Notre esprit la reçoit à son premierréveil,

Comme les dons d’en haut, la vie et lesoleil ;

Comme le lait de l’âme, en ouvrant lapaupière,

Elle a coulé pour nous des lèvres d’unemère ;

Elle a pénétré l’homme en sa tendresaison ;

Son flambeau dans les cœurs précéda laraison.

L’enfant, en essayant sa première parole,

Balbutie au berceau son sublimesymbole ;

Et, sous l’œil maternel germant à soninsu,

Il la sent dans son cœur croître avec lavertu.

Ah ! si la vérité fut faite pour laterre,

Sans doute elle a reçu ce simplecaractère ;

Sans doute, dès l’enfance offerte à nosregards,

Dans l’esprit par les sens entrant de toutesparts,

Comme les purs rayons de la célesteflamme,

Elle a dû dès l’aurore environner notreâme,

De l’esprit par l’amour descendre dans lescœurs,

S’unir au souvenir, se fondre dans lesmœurs ;

Ainsi qu’un grain fécond que l’hiver couvreencore,

Dans notre sein longtemps germer avantd’éclore,

Et, quand l’homme a passé son orageux été,

Donner son fruit divin pour l’immortalité.

Soleil mystérieux, flambeau d’une autresphère,

Prête à mes yeux mourants ta mystiquelumière !

Pars du sein du Très-Haut, rayonconsolateur !

Astre vivifiant, lève-toi dans moncœur !

Hélas ! je n’ai que toi : dans mesheures funèbres,

Ma raison qui pâlit m’abandonne auxténèbres ;

Cette raison superbe, insuffisantflambeau,

S’éteint comme la vie aux portes dutombeau.

Viens donc la remplacer, ô célestelumière !

Viens d’un jour sans nuage inonder mapaupière ;

Tiens-moi lieu du soleil que je ne dois plusvoir,

Et brille à l’horizon comme l’astre dusoir !

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