XV – CONSOLATION
Quand le Dieu qui me frappe, attendri par meslarmes,
De mon cœur oppressé soulève un peu samain,
Et, donnant quelque trêve à mes longuesalarmes,
Laisse tarir mes yeux et respirer monsein ;
Soudain, comme le flot refoulé du rivage
Aux bords qui l’ont brisé revient engémissant,
Ou comme le roseau, vain jouet de l’orage,
Qui plie et rebondit sous la main dupassant,
Mon cœur revient à Dieu, plus docile et plustendre,
Et de ses châtiments perdant le souvenir,
Comme un enfant soumis n’ose lui faireentendre
Qu’un murmure amoureux pour se plaindre etbénir !
Que le deuil de mon âme était lugubre etsombre !
Que de nuits sans pavots, que de jours sanssoleil !
Que de fois j’ai compté les pas du temps dansl’ombre,
Quand les heures passaient sans mener lesommeil !
Mais loin de moi ces temps ! que l’oubliles dévore !
Ce qui n’est plus pour l’homme a-t-il jamaisété ?
Quelques jours sont perdus ; mais lebonheur encore,
Peut fleurir sous mes yeux comme une fleurd’été !
Tous les jours sont à toi ! que t’importeleur nombre ?
Tu dis : le temps se hâte, ou revient surses pas ;
Eh ! n’es-tu pas celui qui fit reculerl’ombre
Sur le cadran rempli d’un roi que tusauvas ?
Si tu voulais ! ainsi le torrent de mavie,
À sa source aujourd’hui remontant sansefforts,
Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie,
Et de ses flots vermeils féconderait sesbords ;
Ces cheveux dont la neige, hélas !argente à peine
Un front où la douleur a gravé le passé,
S’ombrageraient encor de leur touffed’ébène,
Aussi pur que la vague où le cygne apassé !
L’amour ranimerait l’éclat de cesprunelles,
Et ce foyer du cœur, dans les yeux répété,
Lancerait de nouveau ces chastesétincelles
Qui d’un désir craintif font rougir labeauté !
Dieu ! laissez-moi cueillir cette palmeféconde,
Et dans mon sein ravi l’emporter pourtoujours,
Ainsi que le torrent emporte dans son onde
Les roses de Saron qui parfument soncours !
Quand pourrai-je la voir sur l’enfant quirepose
S’incliner doucement dans le calme desnuits ?
Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres derose
Se suspendre à son sein comme l’abeille auxlis !
À l’ombre du figuier, près du courant del’onde,
Loin de l’œil de l’envie et des pas dupervers,
Je bâtirai pour eux un nid parmi le monde,
Comme sur un écueil l’hirondelle desmers !
Là, sans les abreuver à ces sources amères
Où l’humaine sagesse a mêlé son poison,
De ma bouche fidèle aux leçons de mespères,
Pour unique sagesse ils apprendront tonnom !
Là je leur laisserai, pour uniquehéritage,
Tout ce qu’à ses petits laisse l’oiseau duciel,
L’eau pure du torrent, un nid sous lefeuillage,
Les fruits tombés de l’arbre, et ma place ausoleil !
Alors, le front chargé de guirlandesfanées,
Tel qu’un vieux olivier parmi sesrejetons,
Je verrai de mes fils les brillantesannées
Cacher mon tronc flétri sous leurs jeunesfestons !
Alors j’entonnerai l’hymne de mavieillesse,
Et, convive enivré des vins de ta bonté,
Je passerai la coupe aux mains de lajeunesse,
Et je m’endormirai dans ma félicité !