XXIII – APPARITION
Toi qui du jour mourant consoles lanature,
Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans lescieux ;
Étends autour de moi, sur la pâle verdure,
Les douteuses clartés d’un jourmystérieux !
Tous les infortunés chérissent talumière ;
L’éclat brillant du jour repousse leursdouleurs :
Aux regards du soleil ils ferment leurpaupière,
Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés depleurs.
Viens guider mes pas vers la tombe
Où ton rayon s’est abaissé,
Où chaque soir mon genou tombe
Sur un saint nom presque effacé.
Mais quoi ! la pierre lerepousse !…
J’entends !… oui ! des pas sur lamousse !
Un léger souffle a murmuré ;
Mon œil se trouble, je chancelle :
Non, non, ce n’est plus toi ; c’estelle
Dont le regard m’a pénétré !…
Est-ce bien toi ? toi qui t’inclines
Sur celui qui fut ton amant ?
Parle ; que tes lèvres divines
Prononcent un mot seulement.
Ce mot que murmurait ta bouche
Quand, planant sur ta sombre couche,
La mort interrompit ta voix.
Sa bouche commence… Ah !j’achève :
Oui, c’est toi ! ce n’est point unrêve !
Anges du ciel, je la revois !…
Ainsi donc l’ardente prière
Perce le ciel et les enfers !
Ton âme a franchi la barrière
Qui sépare deux univers !
Gloire à ton nom, Dieu qui l’envoie !
Ta grâce a permis que je voie
Ce que mes yeux cherchaient toujours.
Que veux-tu ? faut-il que jemeure ?
Tiens, je te donne pour cette heure
Toutes les heures de mes jours !
Mais quoi ! sur ce rayon déjà l’ombres’envole !
Pour un siècle de pleurs une seuleparole !
Est-ce tout ?… C’est assez ! Astreque j’ai chanté,
J’en bénirai toujours ta pieuse clarté,
Soit que dans nos climats, empire desorages,
Comme un vaisseau voguant sur la mer desnuages,
Tu perces rarement la tristeobscurité ;
Soit que sous ce beau ciel, propice à talumière,
Dans un limpide azur poursuivant tacarrière,
Des couleurs du matin tu dores lescoteaux ;
Ou que, te balançant sur une mertranquille,
Et teignant de tes feux sa surfaceimmobile,
Tes rayons argentés se brisent dans leseaux !