Rocambole – En prison

Chapitre 38

 

 

Comme on le pense bien, Marmouset n’avait paspassé la nuit dans son lit.

Personne même ne s’était couché dans laboutique d’épiceries d’Old Bailey.

À six heures, Milon avait fermé sadevanture.

La Cité reste déserte à partir de cetteheure.

À l’exception des concierges de ces ruchesgigantesques appelées des maisons à bureaux et despolicemen qui veillent toute la nuit, il ne reste personne dans cequartier qui, pendant le jour, est le plus populeux de Londres.

Aussi, trouve-t-on parfaitement naturel que lepetit commerce de détail imite le grand commerce et ferme sesportes.

La boutique close, Marmouset harangua sescompagnons.

Il y avait là cinq hommes déterminés et unefemme.

Pauline, car c’était elle, eut pour mission dedemeurer dans la boutique sans lumière, d’écouter le moindre bruit,de monter au premier étage et de regarder discrètement derrière lesjalousies, si elle entendait quelque rumeur insolite.

Auquel cas elle descendrait dans la cave.

Milon est Marmouset montrèrent eux-mêmes lechemin.

Ils descendirent dans la cave et se munirentde tous les outils préparés par Milon.

Puis ils passèrent dans le caveau, entrèrentdans la galerie et ne s’arrêtèrent qu’à cette salle circulaire oùtrois souterrains aboutissaient.

Marmouset avait planté un pieu dans lapremière cave et après ce pieu il avait attaché le bout d’unpeloton de ficelle.

Puis, à mesure qu’il marchait, il déroulait lepeloton.

Milon, qui croyait toujours comprendre et necomprenait jamais, dit alors :

– Ah ! je sais ce que c’est.

– Tu crois ?

– Oui, c’est comme à Rome… dans lesCatacombes… si on n’a pas un bout de fil, on se perd.

– Eh bien ! tu n’y es pas, ditMarmouset.

– Mais…

– Tu n’y es pas. Voilà tout.

– Alors ?

– Je te l’expliquerai plus tard…

Milon avait coutume de respecter lesréticences de l’élève de Rocambole.

Il s’inclina.

On avança ainsi jusqu’à cet éboulement qui lesavait arrêtés quelques heures auparavant.

– Allons ! mes enfants, ditMarmouset, à l’œuvre ! et ne perdons pas de temps.

Les terres éboulées étaient friables etfaciles à entamer.

La Mort-des-Braves, qu’on avait longtempsemployé à des ouvrages de terrassement à Paris, attaqual’éboulement le premier.

– Bah ! dit-il au troisième coup depioche, à moins qu’il n’y en ait une lieue comme ça, nous n’enaurons pas pour longtemps.

Mais il y en avait long, par exemple.

Comme ils ne pouvaient traverser que deux defront, ils se relayaient de quart d’heure en quart d’heure.

D’heure en heure, Marmouset quittait soncompagnon et remontait dans la boutique.

La petite Pauline, toujours aux aguets,n’avait rien signalé d’extraordinaire.

Enfin, après quatre heures d’un travailopiniâtre, on trouva l’autre côté du souterrain.

Les compagnons de Rocambole poussèrent un cride joie ; mais Milon, essuyant la sueur qui découlait de sonfront, secoua la tête et murmura :

– Si nous en trouvons encore beaucoupcomme ça, nous en aurons pour huit jours.

Et il regarda Marmouset.

Marmouset était calme.

– Tiens cela, dit-il à Milon.

Et il lui mit dans la main le peloton defil.

Puis il fit signe à Polyte de prendre une deslanternes et de l’éclairer.

Milon ne comprenait pas.

Marmouset tira alors un mètre de sa poche, unmètre de charpentier ou de menuisier, et il l’ouvrit.

Milon ouvrit de grands yeux.

Marmouset se mit à mesurer le fil déjà tendu,s’éloignant de Milon, par conséquent, et retournant à petits pasdans la cave.

Alors le colosse regarda la Mort-des-Braves,son vieux compagnon.

– Ah ! mon pauvre ami, dit-il, jen’ai vraiment pas de chance. Voici que Marmouset me traiteabsolument comme me traiterait le maître. Il a toujours l’air de medire que je suis une bête !

Et le bon Milon soupira.

Il faut dire, du reste, que les autresn’avaient pas compris davantage.

Polyte lui-même, qui cependant était un gaminde Paris, ne comprit qu’à moitié ; car, lorsqu’ils furentdescendus dans la première cave, il dit :

– Vous voulez vous rendre compte duchemin que nous avons fait ?

– Oui, d’abord !

– Et puis ?

– Et puis, tu vas voir !

Marmouset s’assit sur une futaille.

– J’ai compté six cent dix-huit mètres,dit-il.

– Bon !

– Nous allons remonter dans la boutique.Il doit y avoir de la ficelle encore.

– Parbleu ! répondit Polyte. Unépicier, ça vend de tout.

Ils remontèrent à bas bruit.

Alors l’étonnement de Polyte fut presque aussigrand que celui de Milon, lorsque, ayant posé sa lanterne sur lecomptoir et ayant apporté un autre peloton de ficelle à Marmouset,il vit celui-ci mesurer soixante-dix-huit mètres de ficelle etcouper au soixante-dix-huitième.

– Maintenant, nous allons voir, ditMarmouset.

Et il éteignit la lanterne et tous trois seretrouvèrent dans l’obscurité.

Le silence le plus profond régnait dans OldBailey.

Marmouset entr’ouvrit la porte basse pratiquéedans la devanture.

Puis il prêta l’oreille.

En ce moment on entendit retentir dans lelointain un pas lent et mesuré.

– C’est le watchman, dit Marmouset.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? fitPolyte.

– Le gardien de nuit de chaquequartier.

Et il repoussa doucement la petite porte etattendit.

Le pas approcha, puis il passa devant laboutique, puis s’éloigna, descendant vers Fleet street.

– Vite ! dit Marmouset, nous avonscinq minutes devant nous avant qu’il revienne.

C’est plus qu’il ne nous en faut !

Polyte, qui n’aurait pas été un gamin de Pariss’il n’avait pas eu le mot pour rire, dit alors :

– J’ai vu bien des mélodrames, auboulevard, mais aucun qui eût autant de ficelles que celui-ci.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer