Rocambole – En prison

Chapitre 31

 

 

Le lendemain, un peu avant neuf heures, sirJames se présenta à la préfecture de police, et entra par le quaides Orfèvres.

Il y a là une station de voitures, et unedizaine de fiacres attendaient à la suite une pratique encoreabsente.

Cependant l’un de ces fiacres n’était pasvide, et même on en avait baissé les stores.

Pourquoi ?

Milon et Marmouset se trouvaient dedans.

Arrivés à huit heures et demie, ils avaientmonté dans le véhicule, en disant au cocher :

– Nous attendons quelqu’un, restez-la etlaissez votre cheval le nez dans sa musette.

Le cocher, ayant regardé l’heure, n’avait faitaucune observation, et la voiture habitée était demeurée au milieudes voitures vides.

Milon et Marmouset avaient baissé lesstores ; puis, les yeux fixés au travers, sur la petite courau bout de laquelle se trouve un des escaliers de la préfecture,ils avaient attendu, causant tout bas :

– Tu penses bien, disait Marmouset, qu’unAnglais se reconnaît à Paris. Ils ont beau faire, ils ont unetournure qui permet de les éventer.

– Alors vous voulez le voir ?

– Naturellement.

– Et pourquoi ne voulez-vous pas que jemonte chez le chef de la sûreté auparavant ?

– Pour deux motifs.

– Ah !

– D’abord parce que tu reconnaîtraspeut-être en lui un des deux Anglais qui rôdaient hier rue duChamp-de-l’Alouette et que nous soupçonnons être ceux qui ontenlevé l’Irlandaise et son fils.

– Ah ! je comprends.

– Ensuite, parce que j’aime autant qu’ilarrive le premier…

– Pourquoi ? demanda vivementMilon.

Marmouset se prit à sourire.

– Parce qu’on lui expliquera ce qui s’estpassé et qu’il sera au courant. Contente-toi de cette explication,car si j’allais plus loin, tu te mettrais inutilement l’esprit à latorture.

– Comme vous voudrez, dit Milonrésigné.

Et comme ils causaient ainsi, une voiture quidescendait du Pont-Neuf s’arrêta à l’entrée de la rue deJérusalem.

Un homme en descendit et dit quelques mots àson cocher.

– Ce doit être lui, dit Marmouset.

Milon regarda cet homme.

– Ah ! pour sûr, dit-il, c’est un deceux d’hier.

– Fort bien ; à présent, écoute.

– Parlez, dit Milon, tandis que sirJames, car c’était lui, en effet, se dirigeait vers l’escalier dela préfecture.

– Tu vas monter dans quelquesminutes.

– Oui, dit Milon.

– Et que le détective se charge ou non deretrouver ton voleur, tu t’arrangeras de façon à descendre aveclui.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il faut que tu sois bien sûrque l’homme qui vient d’entrer ne va pas à la préfecture pour autrechose et que c’est celui que la police va mettre à mestrousses.

– Bon, je comprends ; etpuis ?

– Et puis tu t’en iras tranquillementchez toi.

– Et vous ?

– Oh ! moi, j’entreprendrai unepetite campagne et je commencerai par suivre mon homme.

– Mais, dit Milon, j’ai idée qu’il ne sechargera pas de mon affaire.

– Pourquoi ?

– Parce que je m’appelle Milon, qu’ildoit être un de ceux qui ont volé la lettre de crédit et lespapiers de Shoking, et que par conséquent… il ne voudra pas setrouver en rapport avec moi.

– Tu te trompes !

– Ah !

Milon ne fit plus d’objection. Il sortit dufiacre et monta.

Alors Marmouset appela le cocher et luimontrant la voiture que sir James avait quittée et qui s’étaitremisée de l’autre côté de la rue, il lui dit :

– Pensez-vous que votre cheval soit aussibon que celui-là ?

– Je le parierai quand on voudra.

– Ce n’est pas nécessaire, ditMarmouset ; mais il s’agit de le suivre quand il partira. Il ya un louis de pourboire.

– Fameux ! dit le cocher.

Et il monta sur son siège.

Pendant ce temps, sir James entrait chez lechef de la Sûreté.

– Mon cher monsieur, lui disait celui-ci,il s’agit d’un vol commis par un de vos compatriotes.

– Ah ! lui dit sir James, il y a unebande de pickpockets à Paris.

Je sais cela. Le vol est-ilconsidérable ?

– Cent mille francs.

Sir James était un homme positif.

– Que donnez-vous pour lesretrouver ? demanda-t-il.

– Le quart.

– C’est-à-dire vingt-cinq millefrancs ?

– Oui.

– C’est une petite affaire, dit sir Jamesassez dédaigneusement ; mais vous avez été trop aimable avecmoi pour que je ne cherche pas à vous être utile à mon tour.

Le commissaire de police du quartier desChamps-Élysées avait transmis une note très détaillée sur lamanière dont le vol avait été accompli.

Au nom de Milon, sir James ne sourcillapas.

Quand Milon entra, il le regarda avec cet œilindifférent d’un gentleman qui voit un autre gentleman pour lapremière fois.

Milon fut tout aussi calme, et sir Jamesdemeura convaincu que Milon ignorait encore l’enlèvement del’Irlandaise et de son fils et que la perte de son argent lepréoccupait exclusivement.

Le détective lui fit mille questions, se fitdonner le signalement exact du voleur et la carte que celui-ciavait laissée.

Puis il dit à Milon :

– Retournez chez vous, monsieur, et nevous préoccupez pas. Dans trois jours vous aurez votre argent.

– Ai-je besoin de vous revoir ?demanda Milon.

– Non.

– Puis-je aller chez vous ?

– Inutile. Quand j’aurai mis la main surle voleur, je vous jetterai un mot à la poste, et vous donnerairendez-vous ici.

Sir James parlait avec assurance, et Milonparut tout joyeux.

Comme le lui avait recommandé Marmouset, il nesortit qu’avec sir James de chez le chef de la Sûreté, et ildescendit avec lui sur le quai, où ils se séparèrent, Milon s’enallant à pied, et le détective remontant dans sa voiture.

Alors Marmouset dit au cocher :

– En route, mon garçon ; il y a, jete le répète, un louis de pourboire.

La voiture de sir James n’avait pasd’œil-de-bœuf, ce qui fit que le détective ne put regarder enarrière. D’ailleurs, il ne soupçonna pas un seul instant qu’on pûtle suivre.

L’Anglais remonta sur le Pont-Neuf, letraversa, prit le quai, et descendit vers la rue de Rivoli.

La voiture s’arrêta à l’entrée de l’hôtel duLouvre.

Sir James descendit, paya et renvoya lecocher.

– Bon ! pensa alors Marmouset, dontle fiacre s’était arrêté à quelque distance, nous allons maintenantlui faire le coup du portefeuille.

Et il tira de sa poche un carnet qu’il laissatomber dans le ruisseau.

Puis le reprenant tout mouillé, il se dirigeavers le bureau de l’hôtel.

– Voilà un tour que les Anglais, simalins qu’ils soient, ne connaissent pas…

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