Rocambole – En prison

Chapitre 51

 

 

Donc Chapparot s’était enfui.

De dix heures du soir à quatre ou cinq heuresdu matin, que devint-il ?

Nul n’aurait pu le dire.

Seulement, un peu avant le jour, nousl’eussions retrouvé rue de Lyon, marchant d’un pas inégal, la têtepenchée, le visage farouche.

Chapparot, bien convaincu que la justice étaitsur ses traces, trouvait l’air de Paris malsain.

Il y avait un train du matin qui partait pourLyon, à cinq heures quarante-cinq minutes.

Chapparot s’était dit :

– Je prendrai ce train jusqu’àMontereau ; là je descendrai et je filerai sur la ligne deMulhouse, et je puis être la nuit prochaine en Suisse. Ils n’aurontpas ma sorbonne…

Et le charbonnier, songeant ainsi, prenait satête à deux mains et semblait se vouloir assurer qu’elle tenaitencore sur ses épaules.

Or, nous le savons, Chapparot avait del’argent, un rouleau de cinquante louis que M. James lui avaitmis dans la main comme acompte.

Un Auvergnat qui a mille francs sur lui peutfaire le tour du monde.

Chapparot s’en allait donc prendre un billetde troisième pour Melun, pressé qu’il était de dérouter lesrecherches de la police et de lui faire perdre ses traces.

Il arriva dans la gare, où il y avait très peude voyageurs, voulut se diriger vers le guichet des billets ets’arrêta brusquement sous l’horloge.

Chapparot venait d’apercevoir deux gendarmesinstallés aux deux côtés du guichet et qui paraissaient examinerattentivement chaque personne qui prenait son billet.

Chapparot n’eut pas même l’ombre d’undoute.

Les gendarmes étaient là avec mission del’arrêter, et au lieu d’avancer vers le guichet, il battitprécipitamment en retraita et sortit de la gare.

Il redescendit rue de Lyon, non sans jeter unregard louche à la prison de Mazas, qui est voisine del’embarcadère, et, comme les gens timorés sont en proie à une soifinextinguible, il entra chez le premier marchand de vin qu’iltrouva ouvert.

Un groupe d’hommes, des ouvriers du chemin defer pour la plupart, entouraient le comptoir et causaient avecanimation.

– Qu’est-ce qu’il faut vous servir ?demanda le garçon marchand de vin.

– Un cuivre, répondit Chapparot d’un tonfarouche.

Un cuivre, c’est un verre d’absinthe.

Et, tandis qu’on le servait, il écouta ce quedisaient ces hommes, et, dès les premiers mots, il tressaillit etdressa l’oreille.

– Avec tout cela, disait le marchand devin, on ne l’a pas arrêté ?

– Bah ! il sera pincé avant cesoir.

– Pas sûr.

Un facteur du chemin de fer se mit àsourire :

– Ça n’est plus comme dans le tempsd’autrefois, dit-il ; on ne se cache pas comme on veut, àParis ; la police a le nez partout, et elle vous trouve lesvoleurs et les assassins, comme un chien de chasse, des perdreauxdans une luzerne.

– Le jeune homme est-il mort ?

– Pas encore, mais il n’en vaut guèremieux.

– Pauvre garçon !

– C’est tout de même un fameux brigand,l’autre !

– Peuh ! dit un philosophe, paraîtqu’il avait soiffé, un pochard, c’est capable de tout.

Chapparot écoutait, et la sueur perlait à sonfront ; néanmoins, il n’osait sortir trop précipitamment, depeur d’attirer l’attention sur lui.

Il buvait donc à petits coups son verred’absinthe, et les ouvriers continuaient à s’entretenir d’unassassinat qui avait fait grand bruit, paraît-il, dans lequartier.

Pour Chapparot, la chose était claire ;le jeune homme dont on parlait, c’était Polyte ; l’assassinqu’on recherchait, c’était lui.

Un des ouvriers du chemin de fer, ditencore :

– Il ne partira toujours pas par cheznous, il y a des gendarmes au guichet.

– Mais le reconnaîtront-ils ?

– Je le reconnaîtrais bien, moi, si je levoyais.

À ces derniers mots, Chapparot regarda l’hommequi parlait ainsi et se dit :

– Je vois pourtant cet homme-là pour lapremière fois.

Le marchand de vin ajouta :

– Il a logé ici, il y est venusouvent ; je n’aurais jamais cru qu’il fût capable d’un couppareil.

Chapparot regarda le marchand de vin, comme ilavait regardé l’ouvrier.

– Je ne suis jamais venu ici, pensa-t-il,ce n’est donc pas de moi qu’il s’agit !

Or, comme il avait fini son verre d’absinthe,il dit au marchand de vin en posant trois sous sur lecomptoir :

– Il y a donc du nouveau par ici, cematin ?

– Il y a, répondit un des ouvriers, qu’unPiémontais qui travaillait dans le passage d’Orient, à deux pasd’ici, a assassiné son camarade de garni, cette nuit, et qu’il afilé, emportant une centaine de francs que le pauvre jeune hommes’était mis de côté.

Chapparot respira bruyamment.

L’ouvrier continua :

– On croit qu’il n’a pas quitté lequartier, et c’est probable, car il aura songé à filer par lechemin de fer.

Ce n’était donc pas pour Chapparot que lesgendarmes stationnaient auprès du guichet, dans la gare deLyon !

Et Chapparot sortit du cabaret et il remontavers la gare.

Mais un quart d’heure s’était écoulé depuisqu’il était sorti, et un coup de sifflet lui apprit que le trainpartait. Il était trop tard.

Un employé de service qui l’avait vu arriveren courant lui dit :

– Vous avez le temps d’attendre, monbrave homme, il n’y a plus de train qu’à onze heures quarante dumatin.

Mais Chapparot ne se trouva désappointé qu’àdemi, et il quitta la gare en se disant :

– J’ai la venette trop vive. Qui sait siseulement on me cherche ?

Il s’en revint donc vers la Bastille et pritle boulevard Richard-Lenoir, c’est-à-dire le bord du canal.

En suivant ce chemin, il se rapprochait de sonquartier.

La peur, qui étreignait Chapparot naguère,avait fait place à un autre sentiment.

Il voulait savoir si on avait trouvé lecadavre de la victime et si on parlait de lui ; car enfin, ilpouvait se faire que ce ne fût pas la justice qui se fût introduitechez lui la nuit précédente.

De marchand de vin en marchand de vin, lecharbonnier arriva au boulevard du Prince-Eugène.

Partout, il buvait une goutte ; partout,il écoutait ce qu’on disait.

Chacun parlait de ses affaires, mais Chapparotn’entendait rien qui pût lui faire supposer que son crime étaitdécouvert.

Il arriva ainsi jusqu’à Ba-Ta-Clan.

Tout auprès de cet établissement pittoresqueil y a un fruitier qui donne à boire.

Chapparot entra chez lui.

Le fruitier le connaissait et lui fit bonaccueil.

Chapparot était déjà à moitié ivre, etl’ivresse lui donnait du courage.

Comme la boutique du fruitier était trèsfréquentée, le charbonnier en conclut que personne dans le quartierne savait rien.

Et, sortant de ce dernier cabaret, Chapparotremonta vers la rue Saint-Ambroise.

Auprès de l’église il y a un perruquier, dontl’établissement est un foyer à cancans et où se débitent toutes lesnouvelles du quartier.

De plus en plus enhardi, Chapparot entra chezle perruquier et demanda qu’on lui fît la barbe.

Le perruquier, tout en lui rasant le menton,lui parla de mille choses ; mais il ne fut question nid’assassinat, ni de cadavre trouvé sur l’esplanade, qui était àdeux pas de là.

Alors Chapparot se dit :

– Puisque je suis venu jusqu’ici, autantaller faire un tour à la maison.

Et il prit le chemin du passage desAmandiers.

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