Rocambole – En prison

Chapitre 36

 

 

– Ah ! diable ! fit alorsMilon, comment allons-nous faire maintenant ?

Marmouset, qu’il ne voyait plus, lui réponditpar un éclat de rire.

– Tu te noierais volontiers dans un verred’eau, toi dit-il.

– Je n’ai pas d’allumettes, ditMilon.

– Mais moi j’en ai.

Et Marmouset fit jaillir soudain une étincelled’une allumette-bougie qu’il frotta avec son ongle.

En même temps Milon le vit tirer de sa pocheune petite lanterne à trois faces.

– J’avais prévu le cas où noustrouverions un courant d’air, fit tranquillement Marmouset.

Et il alluma la lanterne dont il referma leverre aussitôt.

– Maintenant, en route ! dit-il.

Et il reprit ses outils sur son épaule et seremit en marche.

À mesure qu’ils avançaient, le bruit devenaitplus strident et le courant d’air plus violent.

En même temps la pente avait acquis une granderapidité.

Bientôt un vent frais, humide, imprégné decette odeur goudronnée que distille le brouillard de Londres lesfrappa au visage.

Ils marchèrent sept à huit minutes encore et,tout à coup, ils aperçurent un point lumineux dans le lointain.

Le souterrain allait s’élargissant, et lavoûte s’élevait au fur et à mesure.

– Qu’est-ce donc que cette lumière ?murmura Marmouset.

Elle ne peut pourtant pas brûler depuis ledix-septième siècle !

– Nous allons nous jeter dans quelqueendroit fréquenté par les hommes, dit Milon.

– Bah !

– Si nous rebroussions chemin…

– Allons donc, dit Marmouset, aurais-tupeur ?

– Pour moi, jamais ! répliqua lecolosse.

– Alors, c’est pour moi ?

– Non, mais si nous allions noustrahir…

– Avançons toujours… s’il y a du danger,nous reviendrons sur nos pas.

À mesure qu’ils marchaient, la lumièregrandissait, et tout à coup il sembla à Marmouset qu’elle étaitentourée d’une glace et qu’elle reflétait.

– Bon ! fit-il, je sais ce quec’est.

– Qu’est-ce donc ? demandaMilon.

Ce que nous voyons, c’est la Tamise. Lesouterrain aboutit à fleur d’eau.

– Mais l’eau n’est paslumineuse ?

– C’est la lueur d’un réverbère qui seréfléchit dedans.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr.

Marmouset fit trente pas encore, etl’événement lui donna raison.

Le souterrain s’ouvrait sur la Tamise etc’était bien la réverbération d’un bec de gaz que Milon et luiavaient vue.

La nuit était claire, le brouillard s’étaitdissipé.

Mais, on le sait, Londres n’a pas de quais oupresque pas.

La partie de la ville que l’on appellel’agglomération a commencé sous le West-End en amont deLambeth-palace, la construction des siens ; mais la ville deLondres proprement dite, la Cité, ne paraît nullement pressée defaire les siens.

Marmouset sortit du souterrain et se trouvasur une petite grève étroite.

Milon l’avait suivi.

Tous deux alors purent se rendre compte dulieu où ils étaient.

À leur droite ils avaient le pont deBlack-Friars ; à leur gauche, en aval, le pont deLondres ; en face d’eux, la rive méridionale sur laquelles’étendent le Southwark et le Borough.

– C’est tout ce que je voulais savoir,dit Marmouset. Allons-nous-en !

Et ils rentrèrent dans le souterrain, où ilsavaient laissé leur lanterne.

– Nous avons fait un bout de chemin ditalors Milon.

– Mais oui, répondit Marmouset.

– Nous avons passé sous Fleet street etsuivi Farringdon road.

– Justement…

– Il y a plus d’une heure que nousmarchons.

– Eh bien ! dit encore Marmouset,jouons des guibolles, comme je disais dans mon enfance.

Ils n’avaient cheminé en venant qu’avecprécaution et en s’arrêtant de temps à autre.

Maintenant qu’ils étaient sûrs de leur route,ils firent le double de chemin dans le même laps de temps.

Quand ils furent dans la petite sallecirculaire, Marmouset tira sa montre.

– Cinq heures et demie, dit-il.

– On doit nous croire morts, là-haut, ditMilon, faisant allusion à leurs compagnons restés dans la boutiqued’épicerie.

– Ce n’est pas ce que je veux dire.

– Ah ! fit Milon étonné.

– Nous avons encore une demi-heure ànous.

– Pourquoi faire ?

– Mais, pour explorer l’autre route etnous convaincre que ce n’est pas celle que nous devons suivre.

– Allons ! dit Milon.

Et ils pénétrèrent dans le boyau souterrain degauche.

Celui-ci faisait un coude et paraissait sediriger vers le nord-ouest.

Il montait, au lieu de descendre.

À cent pas de la salle circulaire ilstrouvèrent une porte de fer.

Marmouset l’ouvrit à coups de marteau.

Puis ils avancèrent encore.

– Ah çà ! dit tout à coup Milon,nous allons cependant vers la Tamise, cette fois ?

– Non !

– Cependant j’entends un bruit sourd.

– Moi aussi.

– Alors c’est le bruit des voitures.

– Non pas, dit Marmouset, et nous pouvonsnous en retourner. Je sais ce que je voulais savoir.

– Ah ! qu’est-ce donc ?

– Nous laissons Old Bailey à notredroite.

– Bon !

– Et nous sommes sous leMetropolitan-railways, autrement dit Le chemin de fer de Chatham.C’est un convoi qui passe.

En effet, le bruit cessa tout à coup. Leconvoi s’était éloigné.

– En es-tu sûr maintenant ? ditencore Marmouset.

– Très sûr.

– Eh bien ! allons-nous-en.

– Et ils revinrent une fois encore surleurs pas.

Un quart d’heure après, ils reparaissaientdans la boutique.

– Mes enfants, dit alors Marmouset auxvieux compagnons de Rocambole, nous allons fermer la boutique etpasser à un autre exercice.

– Ah ! ah ! dit laMort-des-Braves.

– Il y a de l’ouvrage pour toute la nuit,ajouta Milon.

– Et pour d’autres nuits encore,peut-être, acheva Marmouset.

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