Rocambole – En prison

Chapitre 7

 

 

Comme il l’avait dit, le Limousin n’était pasdepuis l’âge de dix ans dans le bâtiment pour manquer d’équilibreet avoir le vertige.

Il passa lestement au-dessus de l’abîme etposa le pied sur l’entablement de la croisée de miss Ellen, quivenait de s’ouvrir.

Alors, deux petites mains le saisirent etl’attirèrent.

Puis une voix douce et harmonieuse lui dittout bas :

– Ne faites pas de bruit, ou nous sommesperdus !

La chambre était sans lumière ; mais lalune y versait sa blanche clarté, et le pauvre Limousin voyait missEllen et la contemplait avec extase, comme si on eût été en pleinjour.

C’était un rêve pour lui !

Un rêve étrange, bizarre, un rêve céleste quese trouver ainsi, lui, le pauvre enfant des montagnes de la Creuseet du Limousin, le maçon aux habits couverts de plâtre, dans ceboudoir de jeune file vêtue de soie et dont les deux mainsmignonnes, blanches et parfumées, pressaient sa main calleuse, dontla voix tremblante murmurait à son oreille, à son oreilleenivrée : « Ne faites pas de bruit », l’associantainsi à son péril et l’élevant par là même jusqu’à elle.

Miss Ellen avait connaissance sans doute de cepetit trou que sir James avait percé dans la porte, afin de lapouvoir surveiller à toute heure, car elle entraîna le jeuneouvrier à l’autre bout de la chambre, en un coin où ils nepouvaient être vus.

Et alors, lui tenant toujours les mains, elleapprocha ses lèvres de son oreille et lui dit :

– Je ne vous connais pas, mais j’aiconfiance en vous.

– Moi non plus, mademoiselle, répondit lenaïf garçon, moi non plus je ne vous connais pas ; mais vouspouvez faire un signe et je me jette par la fenêtre, ou bien jem’en retournerai par où je suis venu.

– C’est-à-dire que vous m’êtesdévoué ?

– La dernière goutte de mon sang vousappartient.

– J’espère bien, dit-elle toujours émueet cependant souriante, j’espère bien que vous ne verserez jamaisvotre sang pour moi. Mais j’ai l’espoir aussi que vous pourrez merendre un grand service.

– Parlez, mademoiselle, je suis prêt.

– En deux mots, dit miss Ellen, car nousn’avons pas de temps à perdre, je vais vous mettre au courant de lasituation. Je suis la fille d’un lord anglais ; je me suissauvée de chez mon père pour remplir un devoir impérieux, un devoirsacré.

– Sans cela, dit le Limousin, quiattachait sur elle un regard plein d’admiration et d’enthousiasme,vous ne vous seriez pas sauvée, j’en suis bien sûr.

Miss Ellen poursuivit :

– Je viens à Paris pour y chercher unhomme que je ne connais pas, dont j’ignore le domicile et qu’ilfaut à tout prix que je retrouve. Cet homme se nomme Milon.

– Milon ! exclama le Limousin.

– Oui. Vous connaissez quelqu’un de cenom ?

– Notre entrepreneur de maçonnerie, notrepatron, comme nous disons, s’appelle Milon.

– Ô mon Dieu ! murmura miss Ellen,si c’était lui !

– Comment est-il, celui que vouscherchez ? demanda le Limousin.

– Je vous l’ai dit, je ne le connais pas…je ne l’ai jamais vu !…

– Savez-vous s’il est jeune ouvieux ?

– Pas davantage.

– Notre patron, poursuivit le Limousin,est un grand et gros homme, qui a les cheveux blancs et qui est boncomme du bon pain.

– Tout ce que je puis vous dire, repritmiss Ellen, c’est qu’il doit connaître une femme appelée Vanda.

– Bon !

– Et un homme appelé Rocambole.

– Cela me suffit, dit le Limousin. Cematin même, j’irai trouver le patron et je lui dirai :Connaissez-vous M. Rocambole etMme Vanda ? S’il me dit oui, c’est que c’estlui. Et la nuit prochaine, je viens vous le dire.

– Mais, dit miss Ellen, je voudraissortir d’ici, pouvez-vous m’emmener ?

– Je ne demande pas mieux, dit leLimousin, dont un frisson parcourait le corps. Seulement, il fautque je repasse seul sur le bâtiment.

– Pourquoi ?

– Pour mettre une planche plus large.

– Oh ! dit miss Ellen, je suiscourageuse et j’ai le pied sûr.

– Oui, dit le Limousin, mais la planchen’est pas assez forte, elle casserait sous le poids de nos deuxcorps.

Miss Ellen se mit à réfléchir.

– Au fait, dit-elle, mieux vaut attendreà la nuit prochaine. D’abord, vous verrez si le Milon dont vousparlez est celui que je cherche.

– Pour ça, oui.

– Ensuite, vous me chercherez loin d’ici,dans un quartier éloigné de Paris, un petit logement, et vous meprocurerez les vêtements d’une femme du peuple. Voilà del’argent.

Et elle mit une bourse dans la main duLimousin rougissant.

– J’exécuterai vos ordres, mademoiselle,dit-il, et demain, à pareille heure, tenez-vous prête. J’aurai uneplanche deux fois plus large et deux fois plus forte. Vous pourrezpasser sans danger.

– Vous êtes un brave garçon et un noblecœur, dit miss Ellen.

Et la fille du pair d’Angleterre tendit lamain au pauvre maçon, qui prit respectueusement cette main et labaisa.

Puis il s’élança sur le pont aérien etfranchit de nouveau l’abîme.

Alors, miss Ellen se mit à genoux et remerciaDieu.

Elle avait enfin trouvé un libérateur.

Cependant, elle n’entendait plus lesronflements sonores de sir James Wood.

Mais elle avait parlé si bas qu’il était peuprobable que le détective eût entendu sa conversation avec le maçonet eût même soupçonné cette nocturne entrevue.

Néanmoins, miss Ellen passa une nuitd’angoisse et ne se trouva rassurée que le lendemain, lorsqu’ellevit sir James Wood.

L’Anglais était calme et indifférent, et illui dit :

– Vous n’avez plus que douze jours àsupporter ma présence, miss Ellen, prenez patience !

– Moins que cela peut-être, pensa lajeune fille qui se prit à songer au Limousin.

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