Rocambole – En prison

Chapitre 56

 

 

Il y eut un petit moment de silence et presqued’hésitation.

Le Parisien est sobre de paroles ; deplus, il comprend à demi-mot.

Marmouset était, comme Polyte, un enfant deParis.

Tous deux se voyaient pour la première fois,mais tous deux se comprirent d’un regard, comme des gens qui seconnaissent de longue date.

Marmouset se revoyait dans Polyte, tel qu’ilétait à dix-huit ans.

Polyte devinait dans ce gandin qui semblaitsortir du club un enfant des faubourgs.

Le regard qu’ils échangèrent voulaitdire :

– Soyons prudent devant le quartd’œil.

Alors Marmouset dit au commissaire :

– Monsieur, voilà un homme qui aura sansdoute à répondre de plusieurs crimes devant vous ; c’est sonaffaire et non la mienne. Seulement, permettez-moi d’éclairer d’unmot la situation.

Marmouset parlait avec une certaine autoritéqui impressionna le magistrat.

– Je vous écoute, monsieur, dit-il.

– Il y a à Paris, dit Marmouset, un agentde police anglais, un détective, qui suit pas à pas, depuis unequinzaine de jours, de pauvres Irlandais accusés de fénianisme.

Le commissaire eut un geste qui voulaitdire :

« La France n’est pas chargée de faireles affaires de l’Angleterre. »

Marmouset comprit le geste du commissaire etcontinua :

– L’Irlande sera toujours sympathique àla France, comme la Pologne, comme toutes les nations opprimées.Les Irlandais dont j’ai l’honneur de vous parler étaient venus enFrance avec une lettre de crédit sur moi.

Le détective qui les suivait avait, de songouvernement, la mission de faire disparaître l’homme et la femmeet de ramener en Angleterre un enfant à la possession duquel lesAnglais attachent une certaine importance.

– Monsieur, dit le commissaire, je saiscela. On m’a transmis une note de la préfecture dans laquelle on memet en garde, car le détective dont vous parlez et qui se nomme, jecrois, sir James Wood, avait sollicité l’intervention de la police,intervention qui lui a été refusée, par la raison toute simple queles fenians sont des hommes politiques et non des malfaiteurs.

Je sais donc cela, mais cela uniquement.

– Alors, reprit Marmouset, permettez-moide continuer.

– Parlez, monsieur.

– Le détective a éloigné l’homme quiaccompagnait la mère et l’enfant, puis il a enlevé ces derniers etles a amenés ici, chez cet homme que vous venez arrêter.

– Alors c’est la femme qui a été jetéedans la citerne ?

– Précisément.

– Et l’enfant ?

– L’enfant, dit Polyte, je l’ai délivréet je l’ai rendu à sa mère.

Chapparot était atterré.

– Monsieur, dit le commissaire, si votretémoignage est nécessaire à la justice, elle vous appellera. Pourle moment, vous pouvez vous retirer.

Le charbonnier avait perdu sa sauvage énergie,il sentait qu’il était perdu.

Cependant, quand les agents voulurents’emparer de lui, il essaya d’opposer une résistancedésespérée ; mais malgré sa force herculéenne, les agents leterrassèrent et lui mirent les menottes.

Alors il regarda Polyte avec une expression dehaine farouche et lui dit :

– Si on ne me fauche pas, nous nousreverrons !

*

**

Une heure après, Marmouset, Milon, Shoking etJean le Boucher étaient réunis dans le grenier qui servait d’asileà l’Irlandaise et à son fils.

Pauline, la petite blanchisseuse, s’y trouvaitaussi avec la mère Vincent et Polyte qui leur faisait, avecsimplicité, le récit de son héroïque conduite.

Jenny, en voyant Shoking, avait étécomplètement rassurée.

– Ma chère, disait l’ex-mendiant deLondres, maintenant que nous voilà sous la protection des amis del’homme gris, nous n’avons plus rien à craindre.

– Oui ! répondit Marmouset, maisl’homme gris, c’est-à-dire Rocambole, a besoin de nous.

– Oh ! dit Shoking, c’est miss Ellenqui dit cela, mais miss Ellen est son ennemie.

– Elle l’était, dit Marmouset.

– Elle l’est toujours !

– Qui sait ? dit encoreMarmouset.

Puis, regardant Polyte :

– Tu es un brave garçon, dit-il, ungarçon intelligent et de cœur.

Polyte s’inclina avec la dignité d’un hommequi sent ses mérites.

– Tu as donc droit à une récompense pourles services que tu nous as rendus.

Polyte eut un geste de fière abnégation.

– Que veux-tu être ? dit encoreMarmouset.

Polyte ne répondit rien, mais il regarda tourà tour sa mère et Pauline, la jolie petite blanchisseuse.

– Mon garçon, dit la mère Vincent, seraitbien content si on pouvait lui faire avoir une petite place.

– Oh ! de douze cent francs, ditPolyte.

– Moi, dit Pauline, je me mettrais à moncompte, je louerais une petite boutique, nous nous marierons, etnous serions heureux comme des cousins de l’Empereur.

Marmouset se mit à sourire.

– Et dans quel quartier t’établirais-tuvolontiers, ma petite ?

– Par là-bas, vers le boulevard duTemple, le quartier est meilleur.

– Vous aurez votre boutique,mademoiselle.

– Et mon fils sa place ? fit laportière.

– Il l’a, dit Marmouset, j’ai besoin d’unsecrétaire : je le prends.

Polyte eut un cri de joie, et la petiteblanchisseuse se jeta à son cou.

– À cent louis de traitement, ajoutaMarmouset.

– Mère, dit Polyte, pince-moi le bras,j’ai peur de rêver.

– Et, dit Marmouset, comme on ne se mariepas sans argent, mes enfants, laissez-moi vous faire mon cadeau denoce.

Il ouvrit son portefeuille, en tira sixbillets de mille francs et les tendit à Pauline.

Pauline, rougissant, eut un geste derefus.

– Prends, mon enfant, dit Marmouset, jesuis riche, riche de l’héritage d’une pauvre fille qui m’aimait etqui m’a laissé une grande fortune, à la condition que jel’emploierais à faire du bien.

– Arrange-toi de façon à te marier vite,car j’ai besoin de mon secrétaire, et je vais partir pour Londresau premier jour.

– Ah ! mon Dieu ! murmuraPauline, qui entrevoyait une séparation.

– Et tu emmèneras ta femme, ce sera votrevoyage de lune de miel. Vous vous établirez au retour.

Pauline se jeta de nouveau au cou dePolyte :

– Ah ! dit-elle, j’ai eu une fièrechance de te parler hier, mon bon petit homme !… il y a silongtemps que je t’aimais !

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