Rocambole – En prison

Chapitre 35

 

 

– Mon ami, dit alors Vanda, il y a decela près de six ans.

Tandis que j’étais à Saint-Lazare avecAntoinette Miller, elle par son angélique et doux visage, moi parmon allure un peu décidée, nous avions attiré l’attention d’unejeune sœur qu’on appelait Marie. Elle croyait à notreinnocence ; elle n’avait jamais douté un moment de la vertud’Antoinette. Bref, elle nous avait prises en grande amitié.

Vous savez comment Antoinette est sortit deSaint-Lazare ?

– Oui, dit Marmouset, morte enapparence.

– Morte pour tous, excepté pourRocambole, moi et quelques autres.

Puis nous nous évadâmes, la belle Marion etmoi, après avoir bâillonné la sœur Léocadie.

Plus d’une année s’écoula, poursuivitVanda ; Antoinette ressuscitée s’était mariée, et le maîtreétait parti pour d’autres aventures ; j’avais un peu oubliéSaint-Lazare et son triste personnel, lorsqu’un matin, passant,devant l’église Saint-Laurent, je fus abordée par une religieusequi me salua.

C’était sœur Marie la jeune religieuse quinous avait témoigné de la sympathie.

– Oh ! madame, me dit-elle, vous neme refuserez pas de me dire la vérité ?

Elle me prit les mains avec effusion.

– Un bruit court à Saint-Lazare,poursuivit-elle, c’est que Mlle Antoinette n’étaitpas morte.

– Vous l’avez pourtant vue dans labière.

– Oui, dit-elle, et cependant.

– Cependant, lui dis-je tout bas, venezme voir le jour où vous sortirez, et je vous dirai tout.

Elle sortait une fois par semaine et n’ymanqua pas.

Un matin, je la vis arriver ; alors je nefis plus mystère ni de la résurrection d’Antoinette, ni de notreévasion.

Elle vint me voir souvent, et je finis par melier avec elle.

Chaque fois je lui donnais une certaine sommepour la distribuer aux pauvres détenues.

Un jour elle me dit :

– L’asile Sainte-Anne ne suffit pas. Sij’avais de l’argent je voudrais fonder un établissement semblable,mais loin de Paris, bien loin, afin que les malheureuses quiviendraient frapper à notre porte n’eussent jamais la pensée derevenir dans ce pays de perdition.

– Eh bien ! lui dis-je, je voustrouverai de l’argent.

J’en parlerai à Rocambole.

Je vous demandai de l’argent aussi, à vous,Marmouset.

– Oui, je sais bien, dit Marmouset, jevous ai donné cent mille francs pour un hospice.

– C’était pour la maison de refuge deSainte-Marie.

– Où cela ?

– Près de Lyon.

– Elle n’est donc plus dans le serviceadministratif des prisons ?

– Oui et non. La maison est uneentreprise particulière, et cependant soumise au règlement desprisons et à la surveillance de l’autorité.

Quand une détenue se conduit bien et qu’ellen’a plus que peu de temps à faire, elle obtient d’aller finir sacaptivité chez sœur Marie ; souvent elle y reste, une foislibérée.

Or, tous les deux ou trois ans, sœur Marievient elle-même ou elle envoie une de ses sœurs en bonnes œuvresvisiter Saint-Lazare ; elle interroge les misères, elle sondela profondeur des infortunes, elle frappe sur les cœurs pour voirs’ils sont susceptibles de repentir, et elle finit par obtenir lapermission d’emmener avec elle quatre, cinq, quelquefois dixdétenues, voleuses ou femmes de mauvaise vie. La sœur Marie arrivece soir, elle m’a écrit, et j’irai la recevoir à la gare.

– Fort bien, dit Marmouset ; maiscomment entrerez vous à sa place à Saint-Lazare ?

– J’entrerai avec elle.

– Comme une de ses sœurs ?

– Comme son amie.

– Mais vous n’êtes pasreligieuse ?

– Non certes.

– Et sœur Marie se prêtera-t-elle à undéguisement qui est un sacrilège à ses yeux, ou tout au moins uneprofanation ?

– J’ai mon idée, dit Vanda. Qu’il voussuffise de savoir que demain je serai à Saint-Lazare. Ainsidonnez-moi vos instructions.

– Elles se résument en un mot :savoir.

– Oui, savoir si miss Ellen est l’ennemieacharnée du maître ou si elle est devenue son amie ?

– Justement.

– Et puis ?

– Dans le premier cas, nous la laisseronsà Saint-Lazare.

– Dans le second nous la feronssortir.

– Oh ! mon ami, dit Vanda ensouriant, je sais la peine que nous avons eue à faire sortirAntoinette.

– Aussi, dit Marmouset en riant, n’est-cepas ainsi que je procéderai.

– Que ferez-vous ?

– Ceux qui l’ont mise à Saint-Lazare l’enferont sortir.

– Comment ?

– Mais tout naturellement. Écoutez-moibien : Un homme est venu à Paris ; cet homme est undétective, il se nomme sir James Wood, je sais son nom depuis cematin. Il a été le geôlier de miss Ellen tant que la jeune fillen’a pas cherché à lui échapper.

Après sa tentative d’évasion de la maison dela rue Louis-le-Grand, sir James, qui avait autre chose à faire àParis, et à qui son gouvernement avait donné des pouvoirs étendus,sir James, dis-je, sera allé trouver le préfet de police et le chefde la sûreté, et aura obtenu d’eux qu’on lui gardât miss Ellenquelques jours dans une des pistoles de Saint-Lazare.

Comprenez-vous ?

– Parfaitement, dit Vanda. Alors, rien nepresse.

– Au contraire.

– Ah !

– Sir James est sur le point de retourneren Angleterre, et si je ne m’assure de sa personne d’ici àdemain…

– Comment ferez-vous ?

Marmouset raconta alors à Vanda l’idée qui luiétait venue de se déguiser en Anglais, de voler cent mille francs àMilon, et de mettre sir James sur la trace du voleurimaginaire.

– Tout cela, dit-il, est assez ingénieux,mais le hasard nous donnerait tort, si nous ne brusquions lesévénements.

– Que voulez-vous dire ?

– Sir James croit que le voleur est lepickpocket qu’il a employé pour voler les papiers de Shoking, cequi fait qu’il va s’égarer dès le début de ses recherches, et ques’il reçoit la dépêche qu’il attend de Londres, il renoncera àpoursuivre le voleur, et partira, emmenant l’enfant et missEllen.

– Vous êtes sûr qu’il a volél’enfant ?

– Tout ce qu’il y a de plus sûr.

– Et savez-vous où il l’a mis ?

– Non, mais je le saurai.

Comme Marmouset disait cela, on frappa à laporte de son cabinet, et Milon entra.

Il était suivi de Shoking qui tournait etretournait son chapeau dans ses mains, d’un air consterné.

– Ne te désole pas, lui dit Marmouset, onretrouvera la mère et l’enfant.

– L’enfant, oui, dit Shoking d’une voixlamentable ; mais la mère, la pauvre Jenny, pourvu qu’ils nel’aient pas tuée ?…

Milon, Marmouset et Vanda tressaillirent et seregardèrent.

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