Rocambole – En prison

Chapitre 34

 

 

Marmouset entra donc chez le fameux serrurierd’Osborn street.

Il se fit montrer toutes sortes de serrures,de clefs forées, tréflées, à pompe, à losange, n’arrêtant son choixsur aucune.

Puis enfin, il finit par dire :

– J’ai lu dans un vieux bouquin qu’auXVIIe siècle on employait à Londres un système deserrure fort curieux.

– On en a employé plusieurs, dit leserrurier, qui était un homme érudit.

– Il y en avait un dont la serruren’était pas apparente.

– Ah ! je sais ce que vous voulezdire, fit le serrurier. J’ai dans mon magasin une porte en fer quiest ainsi disposée.

– Voyons-la, dit Marmouset.

Ils montèrent au premier étage.

– C’est là, dit le serrurier, ce quej’appelle mon musée des antiques.

La Société royale du Muséum vient quelquefoisme visiter et m’a même fait quelques acquisitions.

– Ah ! vraiment ?

– Tenez, voilà une porte fortcurieuse.

Et le serrurier montra à Marmouset une plaquede fer haute d’un mètre, large de quatre-vingts centimètres,cuivrée par un côté et couverte de sculptures en relief obtenues aumarteau.

À première vue, cette plaque de fer n’avaitpas de serrure.

– Vous ne voyez rien ? dit leserrurier.

– Absolument rien.

– Regardez bien.

– J’ai beau regarder…

Alors le serrurier prit un marteau et se mit àfrapper tout en haut de la plaque, auprès de la partie cintrée.

Le choc du marteau produisit une secousse, etcette secousse fit sortir sur trois côtés, de l’épaisseur même dela feuillure, trois verrous qui semblaient chercher leursgâches.

– Oh ! c’est merveilleux ! ditMarmouset.

– Avant de vous expliquer ce mécanisme,reprit le complaisant serrurier, il faut que je vous racontel’histoire de cette porte.

– Allez, dit Marmouset.

Il alluma un cigare, s’assit et attendit.

– Il y a cent cinquante ans, poursuivitle serrurier, Londres a été enveloppé par une vaste conspiration.Les partisans des derniers Stuarts avaient songé à renverser lamaison de Hanovre et à faire sauter, à l’aide de la mine, uneportion de la Cité.

– En vérité !

– La conspiration fut déjouée. On trouvaune quantité considérable de souterrains creusés par lesconspirateurs et fermés par des portes de fer semblables àcelle-là.

Ce fer, merveilleusement forgé et trempé,résistait à tous les chocs, et il eût été impossible de briser cesportes dans lesquelles, comme vous voyez, on ne trouvait pas tracede serrures, si un des conspirateurs, à qui on avait promis sagrâce, n’eût livré le secret.

Marmouset se disait, tandis que le serrurierparlait :

– Rocambole m’avait bien indiqué… c’étaitici que je devais trouver ce que je cherche.

Le serrurier poursuivit :

– Ce système de gonds et de gâchesinvisibles avait un but.

– Ah !

– Les conspirateurs étaientnombreux ; il eût été difficile, sinon impossible de donner àchacun une clef qui ouvrit toutes ces portes, ou plutôt de faire àchaque porte la même serrure.

On essaya ce système de fermeture aumarteau.

Quand on avait frappé un certain nombre decoups, la porte se trouvait fermée.

– Oui, mais commentl’ouvrait-on ?

– De la même manière.

– Bah !

– Seulement, au lieu de frapper par enhaut, on frappait par en bas.

Et le serrurier reprit son marteau et frappa àla partie opposée.

Les trois pênes rentrèrent aussitôt dansl’épaisseur du fer.

– Merveilleux, dit encore Marmouset.

Puis, d’un air tout à faitconfidentiel :

– Cher monsieur, dit-il, je suis attachéà la Bibliothèque impériale de France.

Le serrurier salua.

– Je suis venu à Londres, aux frais demon gouvernement, à la seule fin d’écrire sur place un grandouvrage sur cette même conspiration des Poudres dont vous venez deme parler.

– Ah ! fort bien, dit leserrurier.

– Et on m’avait dit que vous possédiezcette porte, j’ai voulu la voir. Aussi, soyez tranquille, jeparlerai de vous dans mon ouvrage.

Le serrurier parut très flatté.

Quant à Marmouset, comme il savait ce qu’ilvoulait savoir et ce que Rocambole n’avait pu lui dire, il pritcongé du serrurier, le remerciant encore, et il remonta dans soncab.

Une demi-heure après il était de retour dansOld-Bailey et entrait dans la boutique de Milon.

Le personnel du nouvel épicier s’étaitaugmenté d’un commis.

Ce commis, c’était le matelot William, l’hommequi n’avait jamais trouvé qu’un maître, l’homme gris.

William avait revêtu le tablier de garçonépicier depuis le matin.

Marmouset lui avait dit :

– Il s’agit de délivrer l’homme gris.Nous y travaillons, veux-tu être des nôtres ?

À quoi William avait répondu :

– Je serai des vôtres jusqu’à lamort.

– C’est bien ; reste avec nous.Quand le moment d’agir sera venu, on te le dira.

Et William s’était installé chez Milon.

Or, Milon vit revenir Marmousettriomphant.

– Prends la chandelle, lui ditcelui-ci.

– Bon ! dit Milon, nous allons à lacave ?

– Oui.

– Avez-vous trouvé le moyen d’ouvrir laporte ?

– Naturellement.

Ils descendirent, pénétrèrent dans la premièrecave, puis dans la seconde, par la brèche qu’ils avaient pratiquée,et Marmouset, prenant la chandelle des mains de Milon, se mit àexaminer la porte.

Elle était cintrée et paraissait en toutsemblable à celle que Marmouset avait vue chez le serrurierd’Osborn street.

– Mais je ne vois pas de serrure !dit Milon.

– Tu vas voir pourtant qu’elle s’ouvre,dit Marmouset.

Et il lui rendit la chandelle.

Puis il prit un gros marteau et se mit àfrapper coup sur coup dans la partie basse.

Soudain un bruit se fit entendre.

– On dirait un verrou qui court !murmura Milon.

Marmouset frappa un dernier coup.

Puis il donna une poussée vigoureuse à laporte, qui tourna sur ses gonds invisibles.

Alors l’entrée d’un souterrain étroit ettortueux apparut à leurs yeux.

Marmouset reprit le flambeau à palette de ferdes mains de Milon.

– Suis-moi, dit-il, je commence à croireque nous aurons délivré Rocambole avant que les fénians aient songéà prendre un parti.

Et, le premier, il s’aventura dans lesouterrain.

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